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L’autre Arielle – L’intégrale

mars 6, 2011

J’ai écrit une nouvelle l’année passée pi je sais toujours pas quoi faire avec, elle est trop longue pour la plupart des revues pi d’un genre qui fitte pas tant avec les politiques éditoriales classiques. Facque j’ai décidé de la publier icitte, en 4 parties, une à chaque dimanche du mois de février. Si j’avais à décrire le ton en quelques mots, je dirais fantastico-trash-gore. Ou dequoi dans le genre.

L’autre Arielle

Je comprends pas. Depuis deux heures, je repasse l’après-midi dans ma tête, pour essayer de comprendre ce que je fais ici. J’ai beau essayer, j’arrive pas à agencer les évènements dans une trame logique. Je veux dire : je me rappelle très bien tout ce qui s’est passé – ça vient d’arriver – mais j’y crois toujours pas.

L’air stagnait lourdement, tellement humide qu’il flottait sur le lac. Aucun nuage, juste le ciel bleu qui rosissait à l’horizon. On voyait déjà la lune, toute pâle, au-dessus des arbres. Notre canot bougeait pas, immobile dans l’eau brune. Seul Johnny Cash donnait un peu de vie au décor silencieux. Sa voix grave imprimait des cercles concentriques sur la surface lisse du lac assoupi. Molle, tranquille fin d’après-midi.

– Hey ça veut dire quoi bâbord?
– …
– …
– C’est pas l’éléphant?
– Han?
– Ben oué, l’éléphant… tsé y’avait un suit vert. C’tait le roi des éléphants.
– Non, ostie, j’te parle pas de Babar l’éléphant… À bâbord.
– Heu… bâbord c’est à gauche pi tribord c’est à drette.
– T’es tu sûr?
– Ché pas.

Moi pi Tony, assis dans le canot. On finissait les dernières Bowes. Les autres gisaient dans leur carton mouillé, à côté des cannes à pêche qu’on avait pas touchées de l’après-midi; un prétexte, rien d’autre. On voulait juste relaxer, boire des bières, fumer des battes. Profiter du beau temps, pendant que ça durait. On avait passé l’après-midi à jaser pi écouter de la musique. À se faire du fun pi s’en foutre.

– Hey on s’fume l’autre batte pi on s’pousse?
– Han?
– Le batte?
– Ha! Ben sûr. J’étais dû, moi, là.
– On a pas pogné grand’chose han!
– Bah on s’en crisse, tsé. Fuck les poissons.
– Ouin… anyway j’aime crissement pas tant ça du poisson.
– Bah c‘est bon, tsé, d’temps en temps.
– …
– …
– Hey… tsé d’la poutine… y en a à plein de sorte astheure… y en a tu au poisson?
– Fuck man pourquoi on en ferait au poisson?
– Bah ché pas.
– Oublie ça. Ça goûterait l’calvaire.
– Ouin.
– T’imagines tu à quel point tu puerais d’la yeule après ça?

J’ai pris la dernière poffe, celle qui brûle les doigts, pi j’ai lancé le mégot dans le lac. Le signal du départ. On zigzagait laborieusement, à cause de la bière pi de notre incompétence dans le domaine du canotage. Je sais pas pour Tony, mais moi, j’étais pas mal buzzé. Ma rame s’enfonçait dans l’eau doucement; j’aurais pu pagayer encore longtemps, sans réfléchir. C’était agréable. Le lac avait l’air plus tranquille que jamais. De toute la journée, on avait vu personne. Même pas de vent. Juste l’humidité qui nous étouffait gentiment.

C’est ce moment-là que ça a dérapé. Une rupture dans notre journée parfaite, dans notre vie normale. Un petit moment, une seconde qui a tout changé. Comme l’instant où un oiseau s’écrase contre une fenêtre. C’est le vrai commencement de toute l’histoire.

– Yooo quessé ça?
– Han?
– Là-bas! Tchèque!
– Dequoi crisse!
– Ostie, sur le bord de l’eau, tu vois pas?
– Crisse pointe comme du monde!
– T’es-tu aveugle ostie! Non sérieux, juste là, dins quenouilles… tu vois-tu?
– J’pense. Mais pourquoi tu m’montres ça?
– Ben là câlisse c’est des jambes!
– Han? Dequoi tu parles?
– Des jambes ostie, tu l’sé c’est quoi.
– Man, t’as trop bu ou ché pas…

C’était vraiment des jambes. Toutes blanches. Des jambes qui dépassaient des herbes hautes. Comme si quelqu’un était tombé dans l’eau pi que ses pieds trainaient encore sur la rive. Un corps à moitié submergé. Elles bougeaient pas. On voyait l’eau brune pi des jambes blanches qui sortaient. On s’est rapproché; des jambes de femme. Des belles jambes, avec des petits mollets bien formés pi des pieds avec les ongles peints en rouge. Debouts dans le canot, on était silencieux, tendus.

– Man, c’est quoi câlisse?
– Ben… quèqu’un de mort. La tête dans l’eau pi toute.
– Mort?
– Ben là!
– Heu… on fait quoi? Appeler la police?
– Ben oui toé, appeler la police. Nonon, fuck off, on se pousse. Anyway j’ai pas envie de rester icitte plus longtemps, j’ai des affaires à faire à soir.
– Tu veux qu’on la laisse là?
– Ben oué. Au pire quelqu’un d’autre va tomber là-dessus.
– Pi si personne…
– Ha câlisse a rest’ra là, quessé tu veux ça m’fasse!
– Ben là… c’est pas un crime ou dequoi…
– Quoi?
– Ben… genre pas aider quelqu’un…
– Calvaire, on l’a pas vue, pi c’est toute. Tsé est ben cachée pareil.
– …
– Mais on peut ben aller voir pareil.
– Quoi?
– Aller voir pareil. Juste demême.
– Voir un cadavre?
– Ché pas… personne va nous voir.

On a tiré le canot sur le bord de l’eau. Les jambes immobiles juraient dans le soir qui tombait, tellement blanches qu’elles brillaient presque. On les regardait sans bouger, sans savoir quoi faire. La bière pi le pot ajoutaient à l’effet irréel, engluaient mes réflexions qui se limitaient à remarquer l’incongruité des jambes sur la rive. Dans le flou de l’ivresse, c’était des jambes, rien d’autre. Je constatais juste leur présence, sans comprendre leur signification. Ni un cadavre, ni une femme noyée, juste une paire de jambes sur le bord d’un lac. Comme un élément de décor au mauvais endroit. Pourtant, elles se fondaient dans le paysage. Tranquilles, immobiles, éternelles.
Le temps passait, l’horizon se rapprochait peu à peu.

– On la sort de d’là?
– …
– Pogne son pied.

Peut-être que c’était la bière, peut-être le silence qui planait sur le lac, peut-être l’étrangeté de la situation qui rendait le monde réel trop loin pour y penser; je sais pas pourquoi, mais je me suis dit qu’on allait la sortir de là. Lui prendre les jambes pi la tirer hors de l’eau.

La peau était gluante, couverte d’une couche de substance visqueuse. Glissante, comme la peau savonneuse dans la douche. Froide, aussi, pi toute molle : les doigts laissaient des marques aux endroits que j’avais touchés, sillons qui disparaissaient en quelques secondes. Quand j’y repense, je comprends pas comment j’ai pu faire ça sans être dégoûté. Je frissonne juste à y penser.
Une main sur la cheville, l’autre au-dessus du genou, notre prise était bonne. On a tiré trop fort; le corps est sorti d’un coup pi on est tombé sur le cul.
C’est là que les jambes se sont mises à bouger, que l’adrénaline a kické.

– Va chercher la rame! Enwèye ostie!

Une réaction d’auto-défense, rien d’autre. Les jambes battaient l’air comme si elles voulaient se libérer d’une étreinte menaçante. Blanches, laides. Vivantes. J’ai pris la rame pi je me suis approché. Plus rien existait, plus rien, juste l’affaire qu’on venait de tirer hors de l’eau.
Les jambes blanches continuaient à gigoter sur la rive, comme si elles pédalaient sur un vélo détraqué. Blanches, avec les ongles peints en rouge. Normales jusqu’aux hanches. Mais un peu au-dessus du pubis, la peau s’écaillait. Un peu au dessus du pubis, c’était plus une femme, ni même un humain. La peau luisante pi huileuse réfléchissait les derniers rayons de l’après-midi, je m’en rappelle, ça brillait. Sur les côtés, des fentes palpitantes s’ouvraient pi se refermaient en spasmes désespérés. Les nageoires faisaient un bruit mou en frappant les flancs mouillés. Le corps sautillait sur place, secoué de convulsions asphyxiées.
J’arrivais pas à comprendre ce que je voyais, à rationaliser ce que j’avais sous les yeux. J’ai levé la rame au-dessus de ma tête pi j’ai donné un grand coup de hache sur le corps écailleux. La rame a rebondi sur la peau luisante comme sur un ballon trop gonflé. Le deuxième coup a atteint l’œil, l’œil sans paupière, l’œil qui semblait me voir, qui m’observait. Le globe a éclaté sous le coup, répandant un liquide blanchâtre sur les écailles brunes. Je continuais à frapper dans la plaie, rougissant le bout de ma rame qui projetait du sang chaque fois que je la levais au-dessus de ma tête. Puis la rame a percé les écailles. Le sang a jailli de la peau crevassée. Un liquide d’un brun translucide a coulé de la gueule du poisson. Il continuait à bouger, moi je continuais à frapper.
Je m’acharnais sur le corps sans penser aux jambes qui se débattaient, ni à la chose que je frappais; je devais continuer. Trop bizarre, trop horrible. C’était incontrôlé, mes mouvements, ma réaction; instinct de survie. Mais la menace était pas physique, pas dangereuse pour ma vie. Elle l’était pour ma santé mentale, pour le monde dans lequel je vivais, pour ce que j’acceptais comme étant la réalité, la vérité.
Du sang noir pi épais s’écoulait des branchies; une matière jaunâtre sortait de l’œil crevé à chaque coup que je portais. De la compote de pommes, on aurait dit. La tête horrible avait arrêté de gigoter, les jambes aussi. Je tapais sur le corps mutilé, immobile pi crevé. Puis, le ventre s’est ouvert, j’ai senti la chaleur sur ma peau, comme un souffle : l’odeur était dégoûtante. Molle, piquante. Les tripes ont coulé sur la berge, jusqu’à mes pieds. Des dizaines de petits globes ont roulé dans tous les sens. En reculant, j’ai pilé sur je sais pas quoi pi je me suis retrouvé étendu dans la pâte visqueuse. Dans les entrailles d’un monstre, mes mains glissant dans un liquide gluant. Peau souillée. Peau collante.
Sur la berge, une femme-poisson en bouillie. Les jambes bougeaient plus, le haut du corps croupissait en silence sous la brunante. Pâte à modeler multicolore fondue au soleil. Silence pesant. Sur le sol, une multitude de petites boules grosses comme des balles de ping-pong. Tony en a pris une dans ses mains, il l’a crevée maladroitement entre ses doigts. Un réflexe, comme une brûlure. Le têtard s’est écrasé au sol, le pied de Tony par-dessus.

– Man… je…
– Tabarnac tabarnac… crisse… tabarnac!
– C’est… quoi ça ? C’est quoi? Jo, ostie, c’est quoi?!
– Man je l’sais tu moé, crisse! Mais y est mort…
– …
– Je… je l’ai tu tuée?
– Ça a l’air…
– T’as-tu vu toi itou? Man une… une tête de poisson… comment ça?
– Je l’sais pas dude… pourquoi je l’saurais?
– Mais… c’est quoi?
– C’est, genre… une sirène… backside.
– … Fuck.
– …
– …
– On fait quoi?
– On s’pousse. Live.

Le temps de retrouver les rames, de mettre le canot à l’eau, de calmer un peu notre cœur convulsant. Un bruit. Un moteur. Un bateau. De plus en plus près.
Accroupis derrière le feuillage, on tremblait. À quelques mètres, le canot blanc trop visible dans la lumière mourante. Sur le lac, le bateau s’approchait. On bougeait pas, respirait pas, réfléchissait pas. Nos cerveaux embourbés s’enfonçaient. La bière pi le pot s’étaient évaporés quand on avait tiré la chose hors de l’eau.

– Y a tu quelqu’un ?
– …
– Allo?
– …
– Allo?
– On fait quoi?
– On a juste à sortir, pi dire qu’on s’en allait.
– Pi si y s’approche?
– Yaurait pas de raison de s’approcher.
– …
– Voyons ostie…
– Vas-y!
– …
– Allo?… Quessé qu’vous faites su’ mon terrain ?
– Bonjour… heu… désolé on savait pas que c’tait votre terrain… on voulait juste…
– Nonon, c’est pas grave… vous auriez pas vu personne, juste demême?
– Han? Heu… non… non.
– Vous êtes ben sûrs, paske… quessé ça?
– Quoi?
– Quessé vous avez faite?
– Rien… rien!
– Tabarnac!

Le gars a sauté à l’eau, laissant son bateau sur le bord de la rive. Il marchait vers nous, l’air crispé. On disait rien, on essayait juste de pas le regarder. Cerveau enseveli. Il avançait en direction du monstre écrasé sur le sol. En le voyant, il s’est mis à courir.
À genoux dans les entrailles colorées, ses bras pendaient le long de son corps, sa tête se promenait à gauche, à droite. Ses épaules sautillaient. On l’entendait sangloter. Là, je me suis dit qu’il y avait un vrai problème, parce que c’était impossible que quelqu’un pleure à cause de ça. Personne de normal.
Lentement, il s’est levé, s’est retourné vers nous, les yeux gonflés, rougis. Visage dévasté.

– Quessé… ostie quessé vous avez faite? Ostie! Ostie! Vous êtes qui câlisse! Han? Vous faites quoi icitte? Tabarnac!
– On…
– Ta yeule toé crisse! Vos yeules ostie! J’en reviens pas…. Calvaire! Comment ça?
– On l’a trouvée dans…
– Vous l’avez tuée! Ostie que vous êtes caves! À quoi vous avez pensé? Ostie… je suis supposé faire quoi moé, astheure? Han?

Ses cris étaient repris à travers le lac, écho improbable. Nous, toujours immobiles. Il est retourné à son bateau, derrière les roseaux. Pendant une seconde, je me suis dit qu’il partait pi qu’on allait retourner chez nous. Mais il est revenu, une carabine à la main. Moi pi Tony, silencieux, glacés, incrédules. Il pouvait pas s’en servir, de sa carabine, il pouvait pas. Mais la chose qui gisait à quelques mètres de là affirmait le contraire. Logique amputée. Il faudrait parler, s’en sortir en parlant. La seule façon de s’en sortir. Parler. Avec le gars à la carabine, le gars dément, le gars devant nous.

– Monsieur…
– Nonononon, ta yeule.
– Mais…
– Ta yeule ta yeule ta yeule! TA YEULE!
– …
– Pourquoi vous avez faite ça? Han!?
– On pensait que… un cadavre, dans l’eau… on a eu peur…
– Ben oué… on a eu peur… ostie! Qui c’est qui l’a tuée?
– …
– Toé? C’est-tu toé?
– N… non… je…désolé…
– Ben oué.

Le coup a touché Tony dans le ventre. Projeté en arrière, il est retombé sur les galets de la rive. Surpris par le son, je me suis laissé tomber en petite boule à terre. J’y croyais pas.
Le soir grisâtre a fini par avaler complètement la déflagration. Le silence est revenu. Tony, tout plein de sang, étendu sur le dos. Ses jambes bougeaient comme celles du monstre, plus tôt, mouvements incontrôlés, incongrus. Dans ses yeux, je voyais qu’il comprenait pas, Tony, qu’il comprenait pas pourquoi il était couché par terre avec du sang partout pi son ventre dans ses mains. Ses yeux étaient grand ouverts, sa tête tournait, à gauche, à droite, il cherchait une explication, une parcelle de réalité. Le gars s’est approché pi lui a donné deux coups de crosse dans la face. C’était plus Tony, c’était une autre affaire qui trainait sur le bord du lac. Tony mort. Tony-cadavre.

– Hey!
– …
– Toé! Vient icitte. Vient icitte!
– …
– Toé, tu peux t’racheter. Aide-moé. Prends-y les bras. On va l’emmener là-bas.
– …
– Enwèye!

Je me suis levé, pas sûr d’où j’étais pi de ce que je foutais là. J’ai fait comme le gars m’a dit, sans réfléchir, je pouvais pas réfléchir. Plus ou moins clairement, je me disais que j’allais pouvoir rembobiner tout ça quand ça serait fini.
En me penchant pour prendre les bras de Tony-cadavre, je pouvais pas détourner le regard de sa face éclatée. Son œil droit, crevé, se perdait dans le fond de son orbite fracassée. Son nez était écrasé vers le bas, pendait, masse cartilagineuse pi ruisselante, dans la bouche édentée. Tony masqué. Le gars lui a pris les pieds, pi on l’a emmené à côté du monstre. Le gars a sorti un couteau de je sais pas où pi il a agrandi la plaie. Méthodiquement. Une fois Tony-cadavre bien éventré, le gars a commencé à couper. À vider. Un organe à la fois. Sur la rive, l’intérieur de Tony-cadavre se mélangeait à celui de la femme-poisson. Dix, quinze minutes. Debout, j’attendais. Je regardais, les yeux vides. Quand j’y repense, je me trouve trop con. Le gars avait lâché sa carabine, j’aurais pu lui voler, ou juste partir en courant, je sais pas, au moins faire quelque chose. Mais j’ai rien fait. Puis le gars s’est levé, a baissé la tête en regardant à terre. Il s’est accroupi, il a pris un petit globe dans sa main, il l’a tourné dans tous les sens, puis il l’a lancé à l’eau. Il en a pris un autre, il l’a tourné en tous les sens, pi il est allé le déposer doucement dans le ventre de Tony-cadavre.

– Viens m’aider toé!
– …
– C’est pas compliqué. Tu prends ceux qui bougent encore pi t’es mets dans son ventre. Ceux qui bougent pas, t’es laisses là. Enwèye.
– …
– Faut les garder au chaud tsé.
– …
– Tiens, je t’en donne un. Ça va être le tien.
– …
– Prends-le !
– …
– Bon, mets-le dans ta yeule, pi aide moé à apporter ton ami su’l bateau.
– Dans…
– Pour qui reste au chaud calvaire! Vous avez tué sa mère câlisse, tu y dois ben ça!

L’œuf dans ma main, chaud, humide. Un genre de petit têtard déformé gigotant doucement derrière la paroi translucide. Vivant. Un petit animal qui pouvait pas exister mais qui bougeait pour vrai. L’œuf dans ma main venait comme confirmer tout ce qui s’était passé depuis qu’on avait vu les jambes, moi pi Tony. Pi il fallait que je le mette dans ma bouche.
Je me rappelais celui que Tony avait crevé entre ses doigts. Œuf fragile. J’avais peur du goût que ça allait avoir, de la texture, peur qu’il crève dans ma bouche, peur que le gars me tue si l’œuf crevait dans ma bouche. Je voulais surtout pas que le têtard me touche, qu’il agonise en se débattant sur mes joues.
J’ai placé mes mains comme pour boire de l’eau d’un robinet pi j’ai fait rouler l’œuf doucement jusque sur ma langue. Un haut le cœur. J’ai fermé les lèvres. Un autre, un gros. J’ai fermé les yeux, respiré par le nez. Longues respirations, comme au cours de yoga. Ça goûtait acide, dégueulasse. La paroi qui retenait le liquide me semblait molle, ondulait sur ma langue, mon palais, mes joues. Œuf fragile. Je me disais qu’en obéissant, le gars allait me laisser partir. C’était certain. Faire ce qu’il voulait, pi partir. Chez moi, à la maison. Le gars a dit que je pouvais me racheter. Me racheter, ensuite partir. Cette idée-là m’a aidé à supporter le goût de l’œuf, à le garder dans ma bouche.
Après ça, on a emmené Tony-cadavre jusqu’au bateau. Le gars m’a attaché les mains pi il a parti le moteur. Couché à terre, je voyais juste le ciel, les étoiles. La lune. Le bateau allait vite, je le sentais, mais les étoiles restaient au même endroit. Toile profonde. J’avais aucune idée de l’endroit où on allait, comment j’aurais pu le savoir? Je savais même pas où il était le chalet de Tony pi je le sais toujours pas. J’étais perdu. Avec un fou, Tony-cadavre pi un œuf de femme-poisson dans ma bouche. En me concentrant sur ma respiration, je réussissait momentanément à oublier ce que j’avais dans la bouche. Ça durait quelques secondes, pi je revenais à l’œuf.
Deux heures plus tôt, tout allait bien. Moi pi Tony on buvait, on fumait, on se faisait du fun. Mais le pot était loin, vraiment loin. Fracture douloureuse.
Après un long moment, le bateau s’est immobilisé. Le gars m’a détaché pi on a pris Tony-cadavre. On l’a descendu sur un petit quai pi on l’a mis dans la boîte d’un pick-up. Tout ça délicatement, pour pas briser les œufs. Dans ma bouche, l’œuf. Encore là, toujours là. Je le sentais gigoter par moments, déformer sa mince pellicule avec son petit corps hybride. Comme une femme enceinte sent son enfant bouger. C’est à ça que j’ai pensé, je m’en rappelle, parce que ça m’a complètement dégoûté, cette image-là. Moi qui porte un être vivant dans mon corps. Le gars m’a rattaché les mains, encore, pi les pieds. Dans la boîte, avec Tony-cadavre.
Le gars conduisait doucement, lentement, pour pas malmener les œufs. Mais sur le chemin de terre, ça servait à rien. Couché sur le ventre, je devais lever la tête un peu pour pas accoter ma mâchoire sur le plancher de la boîte. Garder la tête dans les airs pour pas heurter ma face pi briser l’œuf. Les muscles de mon cou forçaient, tout mon corps tremblait. Dans ma bouche, l’œuf, œuf fragile. J’endurais la douleur pour pas le briser. Le gars m’avait dit de le garder, que ça allait être le mien. Si je le brisais, le gars serait fâché. Pas le briser. Juste avant que je sois à bout de force, j’ai comme réalisé que l’œuf était moins fragile que je pensais. Avec ma langue, j’ai testé sa texture, sa résistance. C’était mou, mais solide. Je devais faire attention quand même, mais j’ai tenté de déposer la tête. J’avais trop mal, j’étais plus capable. En tremblant, j’ai accoté ma joue sur le plancher, en maintenant l’œuf avec ma langue dans mon autre joue, pour l’amortir un peu. Une onde de chaleur a envahi mon cou, vague douce pi englobante qui s’est propagée dans tout mon corps. Fin de la douleur, respiration plus facile. Amer réconfort.
Le pick-up s’est arrêté longtemps après. Une heure, peut-être. Ou deux, je sais pas. Mais quand on est arrivé, il faisait noir. Complètement noir, une nuit de campagne. D’encre. Le gars est monté dans la boîte.

– Bon, tabarnac. Bravo ostie! Sont tout’ morts!
– …
– Montre-moi voir lui dans ta yeule. Ouvre.
– …
– Haaa, c’est ben beau ça, lui au moins y est vivant. C’est un signe ça! Le destin. Tu vas voir, tu vas l’aimer.
– …
– Bon en attendant, prends ton ami pi emmène-le en arrière.

Les membres libérés, la bouche enfin vide, Tony-cadavre dans mes bras, j’avançais pas vite. Tony avait toujours été plus grand pi plus lourd que moi. Les œufs morts dans son ventre m’écœuraient. Il y en a qui avaient éclatés, d’autres qui bougeaient plus. Une vingtaine de globes translucides avec un petit mutant à l’intérieur, mort.
Je marchais dans la nuit sans voir où j’allais. Le gars m’avait dit d’aller là-bas, là où il pointait. J’ai marché quelques secondes avant de recevoir un violent coup au dans le bas du dos; mon corps s’est cassé en deux pi je suis tombé vers l’avant. Mais j’ai pas touché le sol tout de suite. Je suis tombé pendant une fraction de seconde de trop. Je me suis écrasé au fond d’un trou, sur Tony-cadavre. J’ai senti les œufs crever sous mon poids pi un liquide imbiber mon chandail.
Autour de moi, la nuit, le noir. À genoux sur le sol mou, humide, boueux. Derrière le sombre horizon, encore les étoiles, la lune, au même endroit, immobiles. Une odeur de terre mouillée emplit l’air. La nuit était chaude.

Là, je suis dans un trou, un trou dans le sol. J’ai essayé de sauter; le bord est trop haut. J’ai tâté les parois. Quatre murs, un trou carré. Rien à faire. Attendre.
– Une ‘tite clope mon Tony?
– …

Je me réveille en sursaut, le soleil dans la face. Devant moi, tout en haut du mur de terre, une silhouette. Découpée dans le ciel bleu. Je plisse les yeux dans l’éclat du matin. Puis je me rappelle. À quelques mètres, Tony-cadavre, encore mort. Toujours pas de miracle.
– J’imagine que t’aimerais ça partir d’icitte, han?
– …
– Nonon, j’comprends. Mais pas tu suite. Y faut qu’tu t’rachètes avant. Betôt mais pas tu suite.
– Je… j’m’excuse…
– J’espère ostie! T’aimerais tu ça, moé, que j’tue ta blonde han!? Han!?
– Non…
– Bon. Tiens, un peu d’pain. Du café?
– …
– Tu veux tu du café?
– Ok.
– …
– …
– C’est quoi l’idée, aussi? Han?! Deux mongols qui trouvent une sirène pi y décident d’la tuer? C’est-tu cave ou quoi!? Ostie qu’vous êtes épais! T’as pas l’droit d’faire ça! T’as pas l’droit!
– …
– …
– …
– Bon m’en va en ville, t’as-tu besoin de que’que chose?
– … heu… des clopes?
– Ok. À plus tard.

J’ai faim. Du pain blanc, mou, qui colle dans ma bouche. Un instant, le goût de l’œuf me revient; souvenir échappé, éphémère. Le café trop concentré me fait grimacer. Me racheter, encore. Je sais pas ce que ça veut dire. Ça me stresse. Me racheter.
Une sirène. C’est ça qu’il a dit. J’ai tué une sirène. Sa blonde. C’est quoi cette histoire-là. J’arrive pas à comprendre. Le problème, c’est que c’est vraiment arrivé, pour vrai. La sirène, les têtards morts, Tony-cadavre, tout ça c’est vrai.
J’entends son pick-up s’éloigner. Les chants des oiseaux l’avalent tranquillement. Il faut que je m’en aille. J’inspecte mon trou sous la lumière du jour : comme hier. Rien. Un trou dans la terre, plus ou moins carré, le sol légèrement incliné. Les murs doivent faire au moins trois mètres au point le plus bas pi presque quatre au point le plus haut. Dedans, juste moi, Tony-cadavre pi quelques œufs avortés. J’essaye de grimper, mais la terre est trop dure. Peut-être creuser les murs pour empiler la terre. Non plus. Utiliser Tony-cadavre pour marche-pied?
– Inquiète -toé pas mon Tony, j’te pilerai pas d’ssus.
– …
– Ben dormi?
– …
– Moé ‘tou. Mal au dos, crisse.
– …
– T’as-tu une idée?
– …
– Ostie d’histoire man… ostie…

Je confirme que j’ai aucune chance de m’évader. Officiellement. J’ai passé le matin à essayer de trouver une façon de grimper. Mais je suis encore là. Rien à faire, il faut que j’attende l’autre fou. Que j’attende de me racheter, peu importe ce que ça implique. Au moins il a pas l’air parti pour me torturer. Ni me laisser crever de faim. Trois repas par jour, pas vraiment bons, mais des repas quand même. Des clopes quand j’en ai besoin. Mais il me laisse dans le trou. Le pire dans tout ça, c’est pas savoir jusqu’à quand il faut que j’endure ça. Si je pouvais compter le temps qu’il me reste, ça me donnerait un objectif, quelque chose à quoi je pourrais m’accrocher. J’attends je sais pas quoi. Ma supposée rédemption. Si je reste tranquille pi je fais comme il dit, il va se mettre en confiance, il va relâcher sa surveillance pi je vais pouvoir en profiter. Me pousser. Mais il va falloir que je sois sûr de mon coup, j’ai pas envie qu’y m’attrape. Là il serait fâché. Il a quand même tiré sur Tony. Il l’a tué, Tony. À bout portant. Ostie. Je veux m’en aller.
Je veux m’en aller.

Je sais pas si la police me cherche. S’ils quelqu’un a trouvé le char des parents à Tony au chalet, ou remarqué que le canot est plus là. Le pire, c’est que ça se peut que mes parents aient même pas encore parlé à la police. Ils doivent penser que je suis chez un ami pi que j’ai oublié d’appeler. Mais je pense pas. Je pense qu’ils s’inquiètent.
Même là. On est bien trop loin du chalet pour qu’ils me retrouvent. Ça a prit au moins deux heures avant qu’on arrive ici. On doit être au milieu du bois, dans le trou du cul du monde. Pi quand le gars va en ville acheter des affaires, ça lui prend un bon bout de temps avant de revenir. Ils me trouveront pas. Mon trou, mon bout du monde, mon horizon.

Au moins je suis pas tout seul. Tony est avec moi. Tony-cadavre, Tony-muet, mais Tony quand même. J’ai commencé à lui parler dès le début, sans me poser de question. Comme ça, pour parler. Meubler le silence, éviter de penser. Je le sais très bien qu’il me répondra pas, qu’il est mort, Tony. Mais d’une certaine façon, en lui parlant, c’est une façon de m’excuser. C’est pas Tony qui l’a tué, la sirène, c’est moi. Pi c’est Tony que le gars a tué. Alors je m’excuse en parlant à Tony, en lui tenant compagnie dans le fond du trou, dans la mort. Pour pas le laisser tout seul. Pi je pense que c’est bon pour moi, pour pas que je vire fou. Lui parler, ça rend tout ça moins pire, peut-être. Comme si j’étais pas tout seul dans cette marde-là.

Ma toilette, c’est au milieu de la pente, à côté du mur. Je peux m’accoter, pi le stock va couler loin de moi. Tony-cadavre, lui, a roulé tout au fond. Moi je me suis installé au bout le plus élevé du plancher de terre.
Ça pue, dans mon trou. Pas de douche, un cadavre pi une salle de bain en plein air. Mais je me suis habitué. Je sens plus rien. Juste trois jours avec un cadavre pi c’est déjà rendu normal. Encore, pendant de courts instants de lucidité, je perçois l’odeur nauséabonde, comme un flash. Puis je l’oublie. Là, en ce moment, je le sais que ça pue, mais ça me dérange pas.

L’azur me déprime. Depuis que je suis là, aucun nuage. L’infini se déploie sur ma tête. Je pense à tout ce que je pourrais faire à la place, si j’étais chez nous. Fumer des joints en jouant au freesby, chiller avec San pi tout le monde à la plage, n’importe quoi. N’importe quoi sauf ça, mon trou de quatre mètres carrés. Je me demande ce qu’ils font, les autres. J’aime penser qu’ils boivent de la bière en notre honneur, à moi pi Tony. Ça me rend triste. Je me rends triste tout seul. Il faut pas penser à ça. Monde parallèle, lointain, irréel. Estompé.

Les nuages, noirs et lourds. Pour la première fois depuis que je suis dans mon trou, il va pleuvoir. Ça se sent. L’air est épais, la chaleur collante. Ça me rappelle que j’ai pas pris de douche depuis un bon bout. Je regarde les nuages glisser lentement les uns sur les autres, sans bruit. Enflés, gonflés. Mais toujours rien. Dans mon trou, rien pour me protéger, rien à ma disposition. De la terre, un cadavre, mon linge. Ça fait pas beaucoup. Je sais pas ce que je vais faire quand il va commencer à pleuvoir. J’ai pas vraiment envie de passer la nuit à trembler dans un lit de bouette.
Tout-à-coup, j’ai peur de mourir noyé. L’eau va s’accumuler pi je vais mourir. À moins que l’eau qui monte m’aide à sortir d’ici.
Je fais le saut; quelque chose tombe à côté de moi. Un gros paquet noir.
– Tiens. Pour à soir.
– …
– … Y’annoncent d’la pluie. C’t’une tente. Tu peux pas dire j’pense pas à toé!
– Merci.
– Pi inquiète-toé pas pour l’eau, a va couler vers le fond pi la terre est ben poreuse.
– …
– C’est quoi ton nom?
– Jo.
– Enchanté, Jo. Moé c’est Michel.
– …
– Écoute, tu dois m’haïr pi toute, pi je comprends ça. Mais va pas penser qu’chu un fou, là.
– Nonon…
– Arrête moé ça, t’es trop téteux. J’ai rien contre toé, moé, mais faut tu comprennes une affaire : toé pi ton chum, ben vous avez tué ma blonde, ok, pi je peux pas laisser faire ça. Tu comprends? Tu penses tu que j’me fais du fun à t’garder demême chez nous? Ben non! Mais j’veux te garder à l’œil. Je l’sais qu’tu veux t’en aller. Mais j’veux qu’tu t’rachètes. D’ici un mois et demi, ça devrait marcher.
– Un mois et demi?
– T’es ben capable de patienter encore un peu. J’essaye de pas trop être méchant aik toé, ché pas si t’as r’marqué.
– Ouin… heu… merci…
– …
– Je… j’peux-tu vous d’mander que’que chose?
– Quoi?
– Ben… faudrait j’parle à mes parents, ou ben j’leur envoye un mail, juste pour dire que chu correct tsé, que j’va revenir dans deux mois… tsé j’peux inventer une histoire, je sais pas, un roadtrip, n’importe quoi… j’veux juste leur dire que j’vas ben. Pour pas qu’y s’inquiètent.
– T’es tu malade! On s’en crisse d’eux-aut’! Tchèque moé, j’ai pas besoin de personne pi chu content pareil. Moé chu ben icitte, j’ai pas envie d’aller ailleurs. J’ai tout ce que j’veux. J’avais tout ce que j’veux, avant toé pi l’autre cave v’niez faire les cons par icitte.
– Mais…
– Haa, arrête ostie! Un point c’est toute.
– …
– …

Hier, le gars est venu me réveiller. Il criait d’en-haut du trou qu’il fallait que je sorte. Il pleuvait plus, même si le ciel était toujours couvert, l’air toujours lourd. Juste la terre humide pi les arbres couverts de gouttelettes. Le gars m’a demandé si j’avais bien dormi, je comprenais pas pourquoi il me demandait ça. Ensuite il m’a donné un cigare pi du champagne. Il avait l’air de bonne humeur. Je lui ai demandé ce qu’on fêtait pi il m’a répondu que je verrais plus tard. On a allumé notre cigare pi le gars a commencé à parler. Il m’a posé des questions, demandé ce que je faisais dans la vie, des trucs comme ça. Moi je savais pas quoi répondre, j’avais pas vraiment envie de lui parler, au fou qui avait tué Tony. Il m’a dit qu’il s’excusait d’avoir tué Tony, qu’il avait pété les plombs. Il m’a aussi dit qu’il s’excusait mais qu’il avait besoin de moi. Je lui ai dit que c’était pas grave. J’avais pas le choix. Hypocrisie; légitime défense.
Pi là aujourd’hui, dans l’après-midi, le gars est venu s’installer à côté de mon trou pi il m’a donné une bière. Il a fumé une clope avec moi en me racontant qu’il avait frappé un chevreuil à matin en allant en ville pi que son pare-choc était fini. Ensuite il m’a souhaité bonne fin de journée pi il est reparti. Ça fait du bien, une bonne bière.
Dans le coin, Tony, un œil entrouvert. Enfoncé dans la boue jusqu’à la taille mais toujours en position assise, comme je l’ai mis la première journée.
– Le gars fait dire qu’y s’excuse.
– …
– Ouin.

Il a plu toute la nuit. J’ai presque pas dormi. Les gouttes sur ma tente faisaient un bruit sec, fort. L’eau qui coulait le long de la toile ruisselait en motifs hypnotisants.
Ce matin, quand il a arrêté de pleuvoir, il y avait presque un pied de boue au fond du trou. Tony avait encore renfoncé; il était tombé sur le côté, la face vers le sol. Je l’ai regardé longtemps, pi je l’ai enterré. Je lui dois bien ça, à Tony. Je l’ai recouvert de boue pour qu’il arrête de pourrir, pour qu’il arrête de geler sous la pluie.
La boue que j’ai mise par-dessus a une couleur bizarre.

Au début je pleurais tous les jours parce que je voulais m’en aller. J’arrêtais pas de penser à m’en aller. Mais là, j’ai comme accepté d’attendre. C’est clair que j’ai hâte de m’en aller, mais maintenant que je sais que ça va arriver, on dirait que je suis moins pressé. J’essaye d’imaginer comment ça va se passer, mais j’abouti à rien. Je vais dire quoi à mes parents? Je peux pas leur dire la vérité, ils me croiraient pas. Ni à la police, d’ailleurs. Je me retrouverais dans un hôpital de fous ou quelque chose du genre. Donc il faudrait que j’invente un mensonge, mais un mensonge assez complexe pour être crédible. Si je mens pi que les policiers l’apprennent, ils vont sûrement penser que j’ai quelque chose à voir avec la disparition de Tony.
Tony. Il va falloir que je trouve une raison pour justifier l’absence de Tony.
J’ai encore le temps d’y penser.

La bière fait du bien, elle me rapproche de la réalité. Parler avec le gars aussi, ça fait oublier un peu ce qui s’est passé pour vrai. A force de le côtoyer, le gars, j’ai comme gagné un peu d’assurance. J’ai moins peur de lui, je pense. Sérieusement, je pense pas qu’il veut me faire du mal. Il a l’air sincère.
– Je… chu désolé… d’avoir faite c’qu’on a faite moé pi Tony.
– …
– …
– Je l’sé. J’te crois. Mais ça la ramènera pas.
– …
– J’m’ennuie d’elle.
– …
– Des fois je r’garde le lac… mais est pas là… j’ai pas été nagé depuis. C’est pas pareil sans elle, ça me tente pu.
– …

À matin, j’ai réussi à me crosser. J’avais déjà essayé une couple de fois, quand je me réveillais après un rêve cochon. Mais le décor me rattrapait, l’odeur, la situation. Je me sentais mal de faire ça devant Tony, même mort. Me crosser avec ma toilette à quelques mètres, pi des têtards mutants devant moi. Ça me turnait off, ça me dégoutait. Mais à matin, j’ai réussi. Je sais pas pourquoi. Je suis venu dans la boue.

J’ai jamais vraiment eu de blonde. Il y a eu des filles que j’ai aimées, je pense. Mais c’est impossible d’être sûr. L’amour, c’est peut-être juste une raison de se dire qu’on est heureux. Histoire de se calmer un peu, d’avoir une raison de vivre.
Les filles que j’ai aimé, ça a toujours été parce que je les trouvais belles. Rien d’autre. Presque un choix, une décision que j’ai prise pi que j’ai respectée. Jusqu’à ce que ça arrête. Une peine d’amour : une mauvaise décision. Jamais rien de plus. Aimer parce que c’est normal, que ça va de soi. Je sais pas trop si j’y crois.
La seule personne que j’aimais plus que les autres, c’était Tony. On s’entendait ben. Pas de malaise, rien. Je pense qu’on se comprenait. Mais là.

J’ai hâte que le gars viennent me parler, hâte qu’il m’amène une bière. Je me sens mal. Je comprends pas pourquoi, mais le gars, je le trouve sympathique. J’ai honte. Le gars a tué mon ami, le gars me tient prisonnier dans un trou derrière chez eux, mais j’ai hâte de lui parler. C’est trop long tout seul au fond de mon trou. J’aimerais ça l’haïr, le gars, même que des fois je réussi. Je pense à tout ça, toute cette histoire-là, de trou, de sirène, de Tony tué, pi je l’haïs. Mais il m’apporte mon déjeuner, mon café, mes clopes, il me jase ça en buvant une bière, pi je peux pas m’empêcher de le trouver sympathique. Pi là c’est moi que je me mets à haïr.

Je pense encore à ce que je ferais en retournant chez nous. C’est con, mais je suis rassuré parce qu’au moins j’aurai pas manqué d’école. Si le gars tient sa promesse, je vais être sorti d’ici avant la rentrée. Ça gâchera pas toute ma vie. Juste mon été. Comme si ma vie dépendait du nombre de sessions que je fais au CÉGEP. Je le sais même pas ce que je vais faire après mon DEC. Ils nous font faire des tests depuis secondaire trois, comme si il fallait le savoir tout de suite. J’vais pas me fier à un test corrigé par une machine pour choisir ma carrière. C’est cave. Je me dis que j’ai encore le temps d’y penser, mais que ça commence à presser. Mais j’ai pas envie d’y réfléchir. Je sais pas combien de temps mes parents vont continuer à payer mes études. Je pense que j’aimerais ça aller en voyage. Genre en Europe. J’aimerais ça mais j’ai personne avec qui y aller. Je sais pas si je serais capable tout seul. Ça prendrait de l’argent, aussi, pi j’en ai pas. Pi là c’est certain que j’ai perdu ma job. Bah. Il me reste un an avant d’arriver là.

Si j’ai bien calculé, ça fait un peu plus qu’un mois que je suis ici. Dans mon trou. C’est con, mais on s’habitue vite à rien faire. Tous les jours, je regarde passer le temps, le soleil monter dans le ciel, pi redescendre. Au début c’était intolérable. Mais là, ça va. Ça s’est fait tout seul, comme ça. Ça sert à rien d’avoir hâte; le temps se rallonge. Il faut juste accepter de rien faire. Je me sens bien. Aucune obligation, rien. Je jase avec Michel.
Je me sens vraiment mal pour lui. C’est moi qui l’ai tuée sa blonde. Je me rends compte qu’il l’aimait vraiment gros. Ça me rend triste. Des fois je me demande si je devrais lui dire que c’était moi pi pas Tony. Mais je le fais pas. Ça servirait à rien. À la limite, je peux comprendre qu’il ait été vraiment fâché pi qu’il ait sauté une coche pendant un instant. En plus, je pense qu’il le sait. Pi il s’est excusé. C’est pas facile de reconnaitre qu’on a tord. Mais lui il a accepté son erreur pi il sait que c’était pas bien. C’est pas tout le monde qui est capable de faire ça.

Il reste juste une couple de jours, pi après je suis libre. Si j’ai bien compté. C’est sûr que je pourrais demander à Michel, mais j’aime mieux pas. Je veux pas qu’il pense que je l’haïs pi que je veux juste retourner chez nous. Je l’aime bien, Michel, mais je m’ennuie pareil de mon lit. De toute façon, un jour de plus ou de moins, ça change pas grand-chose.

J’entends une porte claquer. Michel m’amène ma bière de 4 heures.
– Pi, fait pas trop chaud?
– Ça va, ça va. C’est mieux ça que d’la pluie.
– Drette ça. Faut voir le positif dans vie.
– …
– Tiens, j’t’ai am’né un p’tit queque chose.
Il s’accroupi sur le bord du trou pi me tend un genre de gros livre relié en cuir.
– C’que j’te montre-là, je l’ai jamais montré à personne.
– Je…
– Ouvre-le.
C’est un album photo. Presque trois pouces d‘épais. Sur la première photo, on voit un lac au lever du soleil. En regardant bien, j’ai aperçu une forme bizarre qui sortait de l’eau. On aurait dit des fesses. Je tourne les pages. Juste des photos de lac. Puis, sur une photo, on voit clairement une silhouette sous l’eau : un corps de poisson avec deux jambes. Je lève les yeux vers Michel, mais il fume en regardant au loin. Peu à peu, les photos se font plus claires pi se rapprochent de leur sujet. Des photos de la sirène, des photos de la blonde de Michel. Mais c’est pas juste des photos; c’est leur histoire. Je vois comment il l’a apprivoisée, comment ils se sont connus, comment ils se sont aimés. Ça m’émeut. C’est moi qui ai gâché tout ça.
– Était belle han?
La photo montre la sirène de dos. On voit ses petites fesses rondes sortir de l’eau en avant-plan, avec la tête tournée vers la caméra, mais sous la surface.
– Oué.
Elle avait vraiment des belles jambes. À chaque photo, mon regard cherche à s’introduire entre ses cuisses. La caméra capture dans la nage de la sirène des positions sensuelles, troublantes.
Les dernières pages montrent des photos du lac, vide.

Je stresse. J’ai toujours aucune idée de l’histoire que je vais raconter à ma mère pi à la police. À tout le monde. Il faut que j’invente dequoi, parce que personne va croire à la vérité. Au pire, je peux dire que je suis parti avec Tony dans un roadtrip pi qu’on s’est séparés à un moment donné. Mais le char de Tony est dans la cour du chalet. Ça marche pas. Au fond, la meilleure chose à dire, c’est ce qui s’est passé pour vrai, mais sans la sirène. J’avais les yeux bandés, j’ai rien pu voir. C’est ça.
C’est clair que j’ai hâte de me coucher dans mon lit, mais j’ai vraiment pas envie de parler à plein de monde qui vont être triste pour moi, pauvre gars qui s’est fait séquestré. Ça a pas été si pire. J’ai pas envie d’être le centre d‘attention.
Des fois je me demande pourquoi je veux rentrer chez nous. Les vraies raisons. C’est pas pour mes études; je sais même pas ce que je veux faire. Je m’ennuie pas vraiment de ma famille. Je m’entends bien avec mes parents, mais on a jamais été très proches. J’avais pas de blonde, pas d’engagement nulle part. La meilleure raison, c’est mes amis. Je voudrais les revoir. Mais au fond de moi, je me dis qu’ils ont trouvé quelqu’un d’autre pour me remplacer, pour faire des jokes à ma place. J’haïs ça.

– Grosse journée aujourd’hui!
– Han?
– C’est aujourd’hui que tu t’rachète!
– …
– Inquiète-toé pas, c’est rien de ben terrible.
Le gars déroule une échelle de corde. Rush d’adrénaline. C’est là. Je tremble mais je monte pareil. Il me fait rentrer dans son chalet, me fait m’asseoir devant la télé, pi il me donne une pilule à avaler. Je sais pas c’est quoi cette pilule-là. J’ai pas envie, mais j’ai pas le choix. Il allume la télé, me dit de patienter quelques minutes pi sort dehors. Je regarde autour. Je suis pas attaché, rien. Je pourrais sortir, prendre son pick-up pi partir. Je pourrais le faire. Juste y penser, ça me stresse. Je le ferai pas. J’ai patienté tout ce temps-là, je vais pas tout gâcher en essayant de m’enfuir maintenant. Je vais me racheter, pi je vais pouvoir partir. Après.
Je regarde la télé en attendant. C’est La petite sirène. Je souris. Ça fait longtemps que j’ai vu ce film-là. Longtemps que j’ai pas regardé la télé. Ça fait du bien. Ça fait longtemps que j’ai pas vu de fille, aussi. Je regarde la petite sirène rousse nager dans la mer, avec les hippocampes pi les méduses. Quelle âge elle a, la petite sirène? Mettons, 13 ans? Peut-être 15. Bah, quinze, c’est correct. Avec ses cheveux rouges, elle est cute, pareil… pi sa taille toute mince… les coquillages qui cachent ses seins… pourquoi elle les porte? Enlève-les… son sourire… sa façon de nager… Je bande, solide. J’ai pas été excité demême depuis longtemps. Je me sens tout gonflé.
Le gars revient. Il me dit de le suivre. Je me lève, mal à l’aise. J’essaye de cacher mon érection. Il m’amène dans une petite cabane, pas loin du chalet.
– Tadam!
Au milieu de la pièce, un gros bac transparent. Un aquarium. Dedans, une sirène. Des jambes de femme pi un devant de poisson. Comme celle que j’avais tuée. Mais plus petite. Tout d’un coup, je comprends. Je comprends, mais le pire, c’est que ça me dérange pas tant que ça. Je regarde le gars.
– C’est ta blonde, astheure. Vas-y, fourre-la.
Je suis encore bandé, encore excité. Je regarde les jambes dans l’eau, les jambes nues, les petites fesses toutes rondes… le poil qui pousse tranquillement entre les cuisses… les nageoires, tellement agiles… les écailles, qui changent toujours un peu de couleur…
Je bouge pas, je regarde la sirène, comme un pédophile regarde un petit garçon dans une cour d’école… j’ai tellement envie… mais je le sais que c’est dégueulasse, pas normal… je me déshabille pi j’entre dans le bac. J’ai de l’eau jusqu’au nombril. L’eau est tiède, c’est doux sur mes fesses, ma queue… ça m’excite encore plus. La sirène se met à nager autour de moi… à me frôler avec ses pieds, ses nageoires, ses fesses… J’étends la main pour la caresser moi aussi… elle est vraiment douce tellement douce… ses fesses sont blanches, fermes… à deux mains, je prends la sirène par les hanches pi je l’emmène vers moi. Je la touche un peu, entre les cuisses… mes doigts rentrent pas… elle est vierge… osti que j’ai envie de la baiser… elle est placée en levrette, les fesses remontées. Elle se maintient en place avec ses nageoires. Elle rapproche son cul. Je prends mon pénis pi je le rentre dans son vagin. Ça résiste, j’y vais plus fort… je la tiens solidement par les hanches… pi là mon pénis au complet rentre, jusqu’aux testicules. L’eau rougit autour de nous, ça m’excite encore plus… je commence à me faire aller le bas-ventre… fuck ça fait du bien… pi là à un moment donné… la sirène se fait aller toute seule, avec ses nageoires… elle avance pi recule doucement… j’ai pas besoin de la toucher… les branchies s’ouvrent plus rapidement… sa bouche aussi… elle se met à aller plus vite… je sens que je vais venir bientôt… c’est bon… pi là juste comme j’arrive pour jouir, la sirène baisse sa tête de poisson. Ses nageoires se mettent à flipper. Les orteils se courbent… Je vois son anus se contracter… pi sa vulve se serrer tout d’un coup… pi là je viens… un gros orgasme, direct dans son vagin de vierge. En venant, je lui sers les hanches pi je la presse contre mon ventre, le pénis bien enfoncé. Pi là je lâche tout… je me retourne. Le gars me tend une coupe de champagne avec un gros sourire dans sa face.
– Un toast pour mon gendre !

L’autre Arielle – Dernière partie

février 27, 2011

Dans le dernier épisode : Après avoir tué une sirène backside à coups de rame, Jo a vu son ami Tony se faire shotgunner par un monsieur fou qui l’a ensuite obligé à garder un oeuf de sirène dans sa bouche. Jo est séquestré dans un trou dans le sol par le gars, Michel, qui lui promet qu’y va le laisser partir une fois qu’y va s’être racheté.

L’autre Arielle – Dernière partie

Il a plu toute la nuit. J’ai presque pas dormi. Les gouttes sur ma tente faisaient un bruit sec, fort. L’eau qui coulait le long de la toile ruisselait en motifs hypnotisants.
Ce matin, quand il a arrêté de pleuvoir, il y avait presque un pied de boue au fond du trou. Tony avait encore renfoncé; il était tombé sur le côté, la face vers le sol. Je l’ai regardé longtemps, pi je l’ai enterré. Je lui dois bien ça, à Tony. Je l’ai recouvert de boue pour qu’il arrête de pourrir, pour qu’il arrête de geler sous la pluie.
La boue que j’ai mise par-dessus a une couleur bizarre.

Au début je pleurais tous les jours parce que je voulais m’en aller. J’arrêtais pas de penser à m’en aller. Mais là, j’ai comme accepté d’attendre. C’est clair que j’ai hâte de m’en aller, mais maintenant que je sais que ça va arriver, on dirait que je suis moins pressé. J’essaye d’imaginer comment ça va se passer, mais j’abouti à rien. Je vais dire quoi à mes parents? Je peux pas leur dire la vérité, ils me croiraient pas. Ni à la police, d’ailleurs. Je me retrouverais dans un hôpital de fous ou quelque chose du genre. Donc il faudrait que j’invente un mensonge, mais un mensonge assez complexe pour être crédible. Si je mens pi que les policiers l’apprennent, ils vont sûrement penser que j’ai quelque chose à voir avec la disparition de Tony.
Tony. Il va falloir que je trouve une raison pour justifier l’absence de Tony.
J’ai encore le temps d’y penser.

La bière fait du bien, elle me rapproche de la réalité. Parler avec le gars aussi, ça fait oublier un peu ce qui s’est passé pour vrai. A force de le côtoyer, le gars, j’ai comme gagné un peu d’assurance. J’ai moins peur de lui, je pense. Sérieusement, je pense pas qu’il veut me faire du mal. Il a l’air sincère.
– Je… chu désolé… d’avoir faite c’qu’on a faite moé pi Tony.
– …
– …
– Je l’sé. J’te crois. Mais ça la ramènera pas.
– …
– J’m’ennuie d’elle.
– …
– Des fois je r’garde le lac… mais est pas là… j’ai pas été nagé depuis. C’est pas pareil sans elle, ça me tente pu.
– …

À matin, j’ai réussi à me crosser. J’avais déjà essayé une couple de fois, quand je me réveillais après un rêve cochon. Mais le décor me rattrapait, l’odeur, la situation. Je me sentais mal de faire ça devant Tony, même mort. Me crosser avec ma toilette à quelques mètres, pi des têtards mutants devant moi. Ça me turnait off, ça me dégoutait. Mais à matin, j’ai réussi. Je sais pas pourquoi. Je suis venu dans la boue.

J’ai jamais vraiment eu de blonde. Il y a eu des filles que j’ai aimées, je pense. Mais c’est impossible d’être sûr. L’amour, c’est peut-être juste une raison de se dire qu’on est heureux. Histoire de se calmer un peu, d’avoir une raison de vivre.
Les filles que j’ai aimé, ça a toujours été parce que je les trouvais belles. Rien d’autre. Presque un choix, une décision que j’ai prise pi que j’ai respectée. Jusqu’à ce que ça arrête. Une peine d’amour : une mauvaise décision. Jamais rien de plus. Aimer parce que c’est normal, que ça va de soi. Je sais pas trop si j’y crois.
La seule personne que j’aimais plus que les autres, c’était Tony. On s’entendait ben. Pas de malaise, rien. Je pense qu’on se comprenait. Mais là.

J’ai hâte que le gars viennent me parler, hâte qu’il m’amène une bière. Je me sens mal. Je comprends pas pourquoi, mais le gars, je le trouve sympathique. J’ai honte. Le gars a tué mon ami, le gars me tient prisonnier dans un trou derrière chez eux, mais j’ai hâte de lui parler. C’est trop long tout seul au fond de mon trou. J’aimerais ça l’haïr, le gars, même que des fois je réussi. Je pense à tout ça, toute cette histoire-là, de trou, de sirène, de Tony tué, pi je l’haïs. Mais il m’apporte mon déjeuner, mon café, mes clopes, il me jase ça en buvant une bière, pi je peux pas m’empêcher de le trouver sympathique. Pi là c’est moi que je me mets à haïr.

Je pense encore à ce que je ferais en retournant chez nous. C’est con, mais je suis rassuré parce qu’au moins j’aurai pas manqué d’école. Si le gars tient sa promesse, je vais être sorti d’ici avant la rentrée. Ça gâchera pas toute ma vie. Juste mon été. Comme si ma vie dépendait du nombre de sessions que je fais au CÉGEP. Je le sais même pas ce que je vais faire après mon DEC. Ils nous font faire des tests depuis secondaire trois, comme si il fallait le savoir tout de suite. J’vais pas me fier à un test corrigé par une machine pour choisir ma carrière. C’est cave. Je me dis que j’ai encore le temps d’y penser, mais que ça commence à presser. Mais j’ai pas envie d’y réfléchir. Je sais pas combien de temps mes parents vont continuer à payer mes études. Je pense que j’aimerais ça aller en voyage. Genre en Europe. J’aimerais ça mais j’ai personne avec qui y aller. Je sais pas si je serais capable tout seul. Ça prendrait de l’argent, aussi, pi j’en ai pas. Pi là c’est certain que j’ai perdu ma job. Bah. Il me reste un an avant d’arriver là.

Si j’ai bien calculé, ça fait un peu plus qu’un mois que je suis ici. Dans mon trou. C’est con, mais on s’habitue vite à rien faire. Tous les jours, je regarde passer le temps, le soleil monter dans le ciel, pi redescendre. Au début c’était intolérable. Mais là, ça va. Ça s’est fait tout seul, comme ça. Ça sert à rien d’avoir hâte; le temps se rallonge. Il faut juste accepter de rien faire. Je me sens bien. Aucune obligation, rien. Je jase avec Michel.
Je me sens vraiment mal pour lui. C’est moi qui l’ai tuée sa blonde. Je me rends compte qu’il l’aimait vraiment gros. Ça me rend triste. Des fois je me demande si je devrais lui dire que c’était moi pi pas Tony. Mais je le fais pas. Ça servirait à rien. À la limite, je peux comprendre qu’il ait été vraiment fâché pi qu’il ait sauté une coche pendant un instant. En plus, je pense qu’il le sait. Pi il s’est excusé. C’est pas facile de reconnaitre qu’on a tord. Mais lui il a accepté son erreur pi il sait que c’était pas bien. C’est pas tout le monde qui est capable de faire ça.

Il reste juste une couple de jours, pi après je suis libre. Si j’ai bien compté. C’est sûr que je pourrais demander à Michel, mais j’aime mieux pas. Je veux pas qu’il pense que je l’haïs pi que je veux juste retourner chez nous. Je l’aime bien, Michel, mais je m’ennuie pareil de mon lit. De toute façon, un jour de plus ou de moins, ça change pas grand-chose.

J’entends une porte claquer. Michel m’amène ma bière de 4 heures.
– Pi, fait pas trop chaud?
– Ça va, ça va. C’est mieux ça que d’la pluie.
– Drette ça. Faut voir le positif dans vie.
– …
– Tiens, j’t’ai am’né un p’tit queque chose.
Il s’accroupi sur le bord du trou pi me tend un genre de gros livre relié en cuir.
– C’que j’te montre-là, je l’ai jamais montré à personne.
– Je…
– Ouvre-le.
C’est un album photo. Presque trois pouces d‘épais. Sur la première photo, on voit un lac au lever du soleil. En regardant bien, j’ai aperçu une forme bizarre qui sortait de l’eau. On aurait dit des fesses. Je tourne les pages. Juste des photos de lac. Puis, sur une photo, on voit clairement une silhouette sous l’eau : un corps de poisson avec deux jambes. Je lève les yeux vers Michel, mais il fume en regardant au loin. Peu à peu, les photos se font plus claires pi se rapprochent de leur sujet. Des photos de la sirène, des photos de la blonde de Michel. Mais c’est pas juste des photos; c’est leur histoire. Je vois comment il l’a apprivoisée, comment ils se sont connus, comment ils se sont aimés. Ça m’émeut. C’est moi qui ai gâché tout ça.
– Était belle han?
La photo montre la sirène de dos. On voit ses petites fesses rondes sortir de l’eau en avant-plan, avec la tête tournée vers la caméra, mais sous la surface.
– Oué.
Elle avait vraiment des belles jambes. À chaque photo, mon regard cherche à s’introduire entre ses cuisses. La caméra capture dans la nage de la sirène des positions sensuelles, troublantes.
Les dernières pages montrent des photos du lac, vide.

Je stresse. J’ai toujours aucune idée de l’histoire que je vais raconter à ma mère pi à la police. À tout le monde. Il faut que j’invente dequoi, parce que personne va croire à la vérité. Au pire, je peux dire que je suis parti avec Tony dans un roadtrip pi qu’on s’est séparés à un moment donné. Mais le char de Tony est dans la cour du chalet. Ça marche pas. Au fond, la meilleure chose à dire, c’est ce qui s’est passé pour vrai, mais sans la sirène. J’avais les yeux bandés, j’ai rien pu voir. C’est ça.
C’est clair que j’ai hâte de me coucher dans mon lit, mais j’ai vraiment pas envie de parler à plein de monde qui vont être triste pour moi, pauvre gars qui s’est fait séquestré. Ça a pas été si pire. J’ai pas envie d’être le centre d‘attention.
Des fois je me demande pourquoi je veux rentrer chez nous. Les vraies raisons. C’est pas pour mes études; je sais même pas ce que je veux faire. Je m’ennuie pas vraiment de ma famille. Je m’entends bien avec mes parents, mais on a jamais été très proches. J’avais pas de blonde, pas d’engagement nulle part. La meilleure raison, c’est mes amis. Je voudrais les revoir. Mais au fond de moi, je me dis qu’ils ont trouvé quelqu’un d’autre pour me remplacer, pour faire des jokes à ma place. J’haïs ça.

– Grosse journée aujourd’hui!
– Han?
– C’est aujourd’hui que tu t’rachète!
– …
– Inquiète-toé pas, c’est rien de ben terrible.
Le gars déroule une échelle de corde. Rush d’adrénaline. C’est là. Je tremble mais je monte pareil. Il me fait rentrer dans son chalet, me fait m’asseoir devant la télé, pi il me donne une pilule à avaler. Je sais pas c’est quoi cette pilule-là. J’ai pas envie, mais j’ai pas le choix. Il allume la télé, me dit de patienter quelques minutes pi sort dehors. Je regarde autour. Je suis pas attaché, rien. Je pourrais sortir, prendre son pick-up pi partir. Je pourrais le faire. Juste y penser, ça me stresse. Je le ferai pas. J’ai patienté tout ce temps-là, je vais pas tout gâcher en essayant de m’enfuir maintenant. Je vais me racheter, pi je vais pouvoir partir. Après.
Je regarde la télé en attendant. C’est La petite sirène. Je souris. Ça fait longtemps que j’ai vu ce film-là. Longtemps que j’ai pas regardé la télé. Ça fait du bien. Ça fait longtemps que j’ai pas vu de fille, aussi. Je regarde la petite sirène rousse nager dans la mer, avec les hippocampes pi les méduses. Quelle âge elle a, la petite sirène? Mettons, 13 ans? Peut-être 15. Bah, quinze, c’est correct. Avec ses cheveux rouges, elle est cute, pareil… pi sa taille toute mince… les coquillages qui cachent ses seins… pourquoi elle les porte? Enlève-les… son sourire… sa façon de nager… Je bande, solide. J’ai pas été excité demême depuis longtemps. Je me sens tout gonflé.
Le gars revient. Il me dit de le suivre. Je me lève, mal à l’aise. J’essaye de cacher mon érection. Il m’amène dans une petite cabane, pas loin du chalet.
– Tadam!
Au milieu de la pièce, un gros bac transparent. Un aquarium. Dedans, une sirène. Des jambes de femme pi un devant de poisson. Comme celle que j’avais tuée. Mais plus petite. Tout d’un coup, je comprends. Je comprends, mais le pire, c’est que ça me dérange pas tant que ça. Je regarde le gars.
– C’est ta blonde, astheure. Vas-y, fourre-la.
Je suis encore bandé, encore excité. Je regarde les jambes dans l’eau, les jambes nues, les petites fesses toutes rondes… le poil qui pousse tranquillement entre les cuisses… les nageoires, tellement agiles… les écailles, qui changent toujours un peu de couleur…
Je bouge pas, je regarde la sirène, comme un pédophile regarde un petit garçon dans une cour d’école… j’ai tellement envie… mais je le sais que c’est dégueulasse, pas normal… je me déshabille pi j’entre dans le bac. J’ai de l’eau jusqu’au nombril. L’eau est tiède, c’est doux sur mes fesses, ma queue… ça m’excite encore plus. La sirène se met à nager autour de moi… à me frôler avec ses pieds, ses nageoires, ses fesses… J’étends la main pour la caresser moi aussi… elle est vraiment douce tellement douce… ses fesses sont blanches, fermes… à deux mains, je prends la sirène par les hanches pi je l’emmène vers moi. Je la touche un peu, entre les cuisses… mes doigts rentrent pas… elle est vierge… osti que j’ai envie de la baiser… elle est placée en levrette, les fesses remontées. Elle se maintient en place avec ses nageoires. Elle rapproche son cul. Je prends mon pénis pi je le rentre dans son vagin. Ça résiste, j’y vais plus fort… je la tiens solidement par les hanches… pi là mon pénis au complet rentre, jusqu’aux testicules. L’eau rougit autour de nous, ça m’excite encore plus… je commence à me faire aller le bas-ventre… fuck ça fait du bien… pi là à un moment donné… la sirène se fait aller toute seule, avec ses nageoires… elle avance pi recule doucement… j’ai pas besoin de la toucher… les branchies s’ouvrent plus rapidement… sa bouche aussi… elle se met à aller plus vite… je sens que je vais venir bientôt… c’est bon… pi là juste comme j’arrive pour jouir, la sirène baisse sa tête de poisson. Ses nageoires se mettent à flipper. Les orteils se courbent… Je vois son anus se contracter… pi sa vulve se serrer tout d’un coup… pi là je viens… un gros orgasme, direct dans son vagin de vierge. En venant, je lui sers les hanches pi je la presse contre mon ventre, le pénis bien enfoncé. Pi là je lâche tout… je me retourne. Le gars me tend une coupe de champagne avec un gros sourire dans sa face.
– Un toast pour mon gendre !

L’autre Arielle – 3e partie

février 20, 2011

Récapitulons : après avoir tué la sirène, les deux gars se font pogner par un malade qui tue Tony avec un shotgun pi qui ramasse tous les oeufs qui trainent dans le cadavre de la sirène pour les ramener chez lui, avec le survivant attaché dans la boite de son pick-up.

L’autre Arielle – 3e partie

Je me réveille en sursaut, le soleil dans la face. Devant moi, tout en haut du mur de terre, une silhouette. Découpée dans le ciel bleu. Je plisse les yeux dans l’éclat du matin. Puis je me rappelle. À quelques mètres, Tony-cadavre, encore mort. Toujours pas de miracle.
– J’imagine que t’aimerais ça partir d’icitte, han?
– …
– Nonon, j’comprends. Mais pas tu suite. Y faut qu’tu t’rachètes avant. Betôt mais pas tu suite.
– Je… j’m’excuse…
– J’espère ostie! T’aimerais tu ça, moé, que j’tue ta blonde han!? Han!?
– Non…
– Bon. Tiens, un peu d’pain. Du café?
– …
– Tu veux tu du café?
– Ok.
– …
– …
– C’est quoi l’idée, aussi? Han?! Deux mongols qui trouvent une sirène pi y décident d’la tuer? C’est-tu cave ou quoi!? Ostie qu’vous êtes épais! T’as pas l’droit d’faire ça! T’as pas l’droit!
– …
– …
– …
– Bon m’en va en ville, t’as-tu besoin de que’que chose?
– … heu… des clopes?
– Ok. À plus tard.

J’ai faim. Du pain blanc, mou, qui colle dans ma bouche. Un instant, le goût de l’œuf me revient; souvenir échappé, éphémère. Le café trop concentré me fait grimacer. Me racheter, encore. Je sais pas ce que ça veut dire. Ça me stresse. Me racheter.
Une sirène. C’est ça qu’il a dit. J’ai tué une sirène. Sa blonde. C’est quoi cette histoire-là. J’arrive pas à comprendre. Le problème, c’est que c’est vraiment arrivé, pour vrai. La sirène, les têtards morts, Tony-cadavre, tout ça c’est vrai.
J’entends son pick-up s’éloigner. Les chants des oiseaux l’avalent tranquillement. Il faut que je m’en aille. J’inspecte mon trou sous la lumière du jour : comme hier. Rien. Un trou dans la terre, plus ou moins carré, le sol légèrement incliné. Les murs doivent faire au moins trois mètres au point le plus bas pi presque quatre au point le plus haut. Dedans, juste moi, Tony-cadavre pi quelques œufs avortés. J’essaye de grimper, mais la terre est trop dure. Peut-être creuser les murs pour empiler la terre. Non plus. Utiliser Tony-cadavre pour marche-pied?
– Inquiète-toé pas mon Tony, j’te pilerai pas d’ssus.
– …
– Ben dormi?
– …
– Moé ‘tou. Mal au dos, crisse.
– …
– T’as-tu une idée?
– …
– Ostie d’histoire man… ostie…

Je confirme que j’ai aucune chance de m’évader. Officiellement. J’ai passé le matin à essayer de trouver une façon de grimper. Mais je suis encore là. Rien à faire, il faut que j’attende l’autre fou. Que j’attende de me racheter, peu importe ce que ça implique. Au moins il a pas l’air parti pour me torturer. Ni me laisser crever de faim. Trois repas par jour, pas vraiment bons, mais des repas quand même. Des clopes quand j’en ai besoin. Mais il me laisse dans le trou. Le pire dans tout ça, c’est pas savoir jusqu’à quand il faut que j’endure ça. Si je pouvais compter le temps qu’il me reste, ça me donnerait un objectif, quelque chose à quoi je pourrais m’accrocher. J’attends je sais pas quoi. Ma supposée rédemption. Si je reste tranquille pi je fais comme il dit, il va se mettre en confiance, il va relâcher sa surveillance pi je vais pouvoir en profiter. Me pousser. Mais il va falloir que je sois sûr de mon coup, j’ai pas envie qu’y m’attrape. Là il serait fâché. Il a quand même tiré sur Tony. Il l’a tué, Tony. À bout portant. Ostie. Je veux m’en aller.
Je veux m’en aller.

Je sais pas si la police me cherche. S’ils quelqu’un a trouvé le char des parents à Tony au chalet, ou remarqué que le canot est plus là. Le pire, c’est que ça se peut que mes parents aient même pas encore parlé à la police. Ils doivent penser que je suis chez un ami pi que j’ai oublié d’appeler. Mais je pense pas. Je pense qu’ils s’inquiètent.
Même là. On est bien trop loin du chalet pour qu’ils me retrouvent. Ça a prit au moins deux heures avant qu’on arrive ici. On doit être au milieu du bois, dans le trou du cul du monde. Pi quand le gars va en ville acheter des affaires, ça lui prend un bon bout de temps avant de revenir. Ils me trouveront pas. Mon trou, mon bout du monde, mon horizon.

Au moins je suis pas tout seul. Tony est avec moi. Tony-cadavre, Tony-muet, mais Tony quand même. J’ai commencé à lui parler dès le début, sans me poser de question. Comme ça, pour parler. Meubler le silence, éviter de penser. Je le sais très bien qu’il me répondra pas, qu’il est mort, Tony. Mais d’une certaine façon, en lui parlant, c’est une façon de m’excuser. C’est pas Tony qui l’a tué, la sirène, c’est moi. Pi c’est Tony que le gars a tué. Alors je m’excuse en parlant à Tony, en lui tenant compagnie dans le fond du trou, dans la mort. Pour pas le laisser tout seul. Pi je pense que c’est bon pour moi, pour pas que je vire fou. Lui parler, ça rend tout ça moins pire, peut-être. Comme si j’étais pas tout seul dans cette marde-là.

Ma toilette, c’est au milieu de la pente, à côté du mur. Je peux m’accoter, pi le stock va couler loin de moi. Tony-cadavre, lui, a roulé tout au fond. Moi je me suis installé au bout le plus élevé du plancher de terre.
Ça pue, dans mon trou. Pas de douche, un cadavre pi une salle de bain en plein air. Mais je me suis habitué. Je sens plus rien. Juste trois jours avec un cadavre pi c’est déjà rendu normal. Encore, pendant de courts instants de lucidité, je perçois l’odeur nauséabonde, comme un flash. Puis je l’oublie. Là, en ce moment, je le sais que ça pue, mais ça me dérange pas.

L’azur me déprime. Depuis que je suis là, aucun nuage. L’infini se déploie sur ma tête. Je pense à tout ce que je pourrais faire à la place, si j’étais chez nous. Fumer des joints en jouant au freesby, chiller avec San pi tout le monde à la plage, n’importe quoi. N’importe quoi sauf ça, mon trou de quatre mètres carrés. Je me demande ce qu’ils font, les autres. J’aime penser qu’ils boivent de la bière en notre honneur, à moi pi Tony. Ça me rend triste. Je me rends triste tout seul. Il faut pas penser à ça. Monde parallèle, lointain, irréel. Estompé.

Les nuages, noirs et lourds. Pour la première fois depuis que je suis dans mon trou, il va pleuvoir. Ça se sent. L’air est épais, la chaleur collante. Ça me rappelle que j’ai pas pris de douche depuis un bon bout. Je regarde les nuages glisser lentement les uns sur les autres, sans bruit. Enflés, gonflés. Mais toujours rien. Dans mon trou, rien pour me protéger, rien à ma disposition. De la terre, un cadavre, mon linge. Ça fait pas beaucoup. Je sais pas ce que je vais faire quand il va commencer à pleuvoir. J’ai pas vraiment envie de passer la nuit à trembler dans un lit de bouette.
Tout-à-coup, j’ai peur de mourir noyé. L’eau va s’accumuler pi je vais mourir. À moins que l’eau qui monte m’aide à sortir d’ici.
Je fais le saut; quelque chose tombe à côté de moi. Un gros paquet noir.
– Tiens. Pour à soir.
– …
– … Y’annoncent d’la pluie. C’t’une tente. Tu peux pas dire j’pense pas à toé!
– Merci.
– Pi inquiète-toé pas pour l’eau, a va couler vers le fond pi la terre est ben poreuse.
– …
– C’est quoi ton nom?
– Jo.
– Enchanté, Jo. Moé c’est Michel.
– …
– Écoute, tu dois m’haïr pi toute, pi je comprends ça. Mais va pas penser qu’chu un fou, là.
– Nonon…
– Arrête moé ça, t’es trop téteux. J’ai rien contre toé, moé, mais faut tu comprennes une affaire : toé pi ton chum, ben vous avez tué ma blonde, ok, pi je peux pas laisser faire ça. Tu comprends? Tu penses tu que j’me fais du fun à t’garder demême chez nous? Ben non! Mais j’veux te garder à l’œil. Je l’sais qu’tu veux t’en aller. Mais j’veux qu’tu t’rachètes. D’ici un mois et demi, ça devrait marcher.
– Un mois et demi?
– T’es ben capable de patienter encore un peu. J’essaye de pas trop être méchant aik toé, ché pas si t’as r’marqué.
– Ouin… heu… merci…
– …
– Je… j’peux-tu vous d’mander que’que chose?
– Quoi?
– Ben… faudrait j’parle à mes parents, ou ben j’leur envoye un mail, juste pour dire que chu correct tsé, que j’va revenir dans deux mois… tsé j’peux inventer une histoire, je sais pas, un roadtrip, n’importe quoi… j’veux juste leur dire que j’vas ben. Pour pas qu’y s’inquiètent.
– T’es tu malade! On s’en crisse d’eux-aut’! Tchèque moé, j’ai pas besoin de personne pi chu content pareil. Moé chu ben icitte, j’ai pas envie d’aller ailleurs. J’ai tout ce que j’veux. J’avais tout ce que j’veux, avant toé pi l’autre cave v’niez faire les cons par icitte.
– Mais…
– Haa, arrête ostie! Un point c’est toute.
– …
– …

Hier, le gars est venu me réveiller. Il criait d’en-haut du trou qu’il fallait que je sorte. Il pleuvait plus, même si le ciel était toujours couvert, l’air toujours lourd. Juste la terre humide pi les arbres couverts de gouttelettes. Le gars m’a demandé si j’avais bien dormi, je comprenais pas pourquoi il me demandait ça. Ensuite il m’a donné un cigare pi du champagne. Il avait l’air de bonne humeur. Je lui ai demandé ce qu’on fêtait pi il m’a répondu que je verrais plus tard. On a allumé notre cigare pi le gars a commencé à parler. Il m’a posé des questions, demandé ce que je faisais dans la vie, des trucs comme ça. Moi je savais pas quoi répondre, j’avais pas vraiment envie de lui parler, au fou qui avait tué Tony. Il m’a dit qu’il s’excusait d’avoir tué Tony, qu’il avait pété les plombs. Il m’a aussi dit qu’il s’excusait mais qu’il avait besoin de moi. Je lui ai dit que c’était pas grave. J’avais pas le choix. Hypocrisie; légitime défense.
Pi là aujourd’hui, dans l’après-midi, le gars est venu s’installer à côté de mon trou pi il m’a donné une bière. Il a fumé une clope avec moi en me racontant qu’il avait frappé un chevreuil à matin en allant en ville pi que son pare-choc était fini. Ensuite il m’a souhaité bonne fin de journée pi il est reparti. Ça fait du bien, une bonne bière.
Dans le coin, Tony, un œil entrouvert. Enfoncé dans la boue jusqu’à la taille mais toujours en position assise, comme je l’ai mis la première journée.
– Le gars fait dire qu’y s’excuse.
– …
– Ouin.

L’autre Arielle – 2e partie

février 13, 2011

Dans l’épisode précédent : Rappelons-nous que nos deux amis, après un après-midi de pêche occupé à boire de la bière et fumer des joints, ont trouvé sur la rive du lac une étrange créature aux jambes de femme et au torse de poisson, qu’ils décâlissèrent à coup de rame sans hésiter.

L’autre Arielle – 2e partie

Accroupis derrière le feuillage, on tremblait. À quelques mètres, le canot blanc trop visible dans la lumière mourante. Sur le lac, le bateau s’approchait. On bougeait pas, respirait pas, réfléchissait pas. Nos cerveaux embourbés s’enfonçaient. La bière pi le pot s’étaient évaporés quand on avait tiré la chose hors de l’eau.

– Y a tu quelqu’un ?
– …
– Allo?
– …
– Allo?
– On fait quoi?
– On a juste à sortir, pi dire qu’on s’en allait.
– Pi si y s’approche?
– Yaurait pas de raison de s’approcher.
– …
– Voyons ostie…
– Vas-y!
– …
– Allo?… Quessé qu’vous faites su’ mon terrain ?
– Bonjour… heu… désolé on savait pas que c’tait votre terrain… on voulait juste…
– Nonon, c’est pas grave… vous auriez pas vu personne, juste demême?
– Han? Heu… non… non.
– Vous êtes ben sûrs, paske… quessé ça?
– Quoi?
– Quessé vous avez faite?
– Rien… rien!
– Tabarnac!

Le gars a sauté à l’eau, laissant son bateau sur le bord de la rive. Il marchait vers nous, l’air crispé. On disait rien, on essayait juste de pas le regarder. Cerveau enseveli. Il avançait en direction du monstre écrasé sur le sol. En le voyant, il s’est mis à courir.
À genoux dans les entrailles colorées, ses bras pendaient le long de son corps, sa tête se promenait à gauche, à droite. Ses épaules sautillaient. On l’entendait sangloter. Là, je me suis dit qu’il y avait un vrai problème, parce que c’était impossible que quelqu’un pleure à cause de ça. Personne de normal.
Lentement, il s’est levé, s’est retourné vers nous, les yeux gonflés, rougis. Visage dévasté.

– Quessé… ostie quessé vous avez faite? Ostie! Ostie! Vous êtes qui câlisse! Han? Vous faites quoi icitte? Tabarnac!
– On…
– Ta yeule toé crisse! Vos yeules ostie! J’en reviens pas…. Calvaire! Comment ça?
– On l’a trouvée dans…
– Vous l’avez tuée! Ostie que vous êtes caves! À quoi vous avez pensé? Ostie… je suis supposé faire quoi moé, astheure? Han?

Ses cris étaient repris à travers le lac, écho improbable. Nous, toujours immobiles. Il est retourné à son bateau, derrière les roseaux. Pendant une seconde, je me suis dit qu’il partait pi qu’on allait retourner chez nous. Mais il est revenu, une carabine à la main. Moi pi Tony, silencieux, glacés, incrédules. Il pouvait pas s’en servir, de sa carabine, il pouvait pas. Mais la chose qui gisait à quelques mètres de là affirmait le contraire. Logique amputée. Il faudrait parler, s’en sortir en parlant. La seule façon de s’en sortir. Parler. Avec le gars à la carabine, le gars dément, le gars devant nous.

– Monsieur…
– Nonononon, ta yeule.
– Mais…
– Ta yeule ta yeule ta yeule! TA YEULE!
– …
– Pourquoi vous avez faite ça? Han!?
– On pensait que… un cadavre, dans l’eau… on a eu peur…
– Ben oué… on a eu peur… ostie! Qui c’est qui l’a tuée?
– …
– Toé? C’est-tu toé?
– N… non… je…désolé…
– Ben oué.

Le coup a touché Tony dans le ventre. Projeté en arrière, il est retombé sur les galets de la rive. Surpris par le son, je me suis laissé tomber en petite boule à terre. J’y croyais pas.
Le soir grisâtre a fini par avaler complètement la déflagration. Le silence est revenu. Tony, tout plein de sang, étendu sur le dos. Ses jambes bougeaient comme celles du monstre, plus tôt, mouvements incontrôlés, incongrus. Dans ses yeux, je voyais qu’il comprenait pas, Tony, qu’il comprenait pas pourquoi il était couché par terre avec du sang partout pi son ventre dans ses mains. Ses yeux étaient grand ouverts, sa tête tournait, à gauche, à droite, il cherchait une explication, une parcelle de réalité. Le gars s’est approché pi lui a donné deux coups de crosse dans la face. C’était plus Tony, c’était une autre affaire qui trainait sur le bord du lac. Tony mort. Tony-cadavre.

– Hey!
– …
– Toé! Vient icitte. Vient icitte!
– …
– Toé, tu peux t’racheter. Aide-moé. Prends-y les bras. On va l’emmener là-bas.
– …
– Enwèye!

Je me suis levé, pas sûr d’où j’étais pi de ce que je foutais là. J’ai fait comme le gars m’a dit, sans réfléchir, je pouvais pas réfléchir. Plus ou moins clairement, je me disais que j’allais pouvoir rembobiner tout ça quand ça serait fini.
En me penchant pour prendre les bras de Tony-cadavre, je pouvais pas détourner le regard de sa face éclatée. Son œil droit, crevé, se perdait dans le fond de son orbite fracassée. Son nez était écrasé vers le bas, pendait, masse cartilagineuse pi ruisselante, dans la bouche édentée. Tony masqué. Le gars lui a pris les pieds, pi on l’a emmené à côté du monstre. Le gars a sorti un couteau de je sais pas où pi il a agrandi la plaie. Méthodiquement. Une fois Tony-cadavre bien éventré, le gars a commencé à couper. À vider. Un organe à la fois. Sur la rive, l’intérieur de Tony-cadavre se mélangeait à celui de la femme-poisson. Dix, quinze minutes. Debout, j’attendais. Je regardais, les yeux vides. Quand j’y repense, je me trouve trop con. Le gars avait lâché sa carabine, j’aurais pu lui voler, ou juste partir en courant, je sais pas, au moins faire quelque chose. Mais j’ai rien fait. Puis le gars s’est levé, a baissé la tête en regardant à terre. Il s’est accroupi, il a pris un petit globe dans sa main, il l’a tourné dans tous les sens, puis il l’a lancé à l’eau. Il en a pris un autre, il l’a tourné en tous les sens, pi il est allé le déposer doucement dans le ventre de Tony-cadavre.

– Viens m’aider toé!
– …
– C’est pas compliqué. Tu prends ceux qui bougent encore pi t’es mets dans son ventre. Ceux qui bougent pas, t’es laisses là. Enwèye.
– …
– Faut les garder au chaud tsé.
– …
– Tiens, je t’en donne un. Ça va être le tien.
– …
– Prends-le !
– …
– Bon, mets-le dans ta yeule, pi aide moé à apporter ton ami su’l bateau.
– Dans…
– Pour qui reste au chaud calvaire! Vous avez tué sa mère câlisse, tu y dois ben ça!

L’œuf dans ma main, chaud, humide. Un genre de petit têtard déformé gigotant doucement derrière la paroi translucide. Vivant. Un petit animal qui pouvait pas exister mais qui bougeait pour vrai. L’œuf dans ma main venait comme confirmer tout ce qui s’était passé depuis qu’on avait vu les jambes, moi pi Tony. Pi il fallait que je le mette dans ma bouche.
Je me rappelais celui que Tony avait crevé entre ses doigts. Œuf fragile. J’avais peur du goût que ça allait avoir, de la texture, peur qu’il crève dans ma bouche, peur que le gars me tue si l’œuf crevait dans ma bouche. Je voulais surtout pas que le têtard me touche, qu’il agonise en se débattant sur mes joues.
J’ai placé mes mains comme pour boire de l’eau d’un robinet pi j’ai fait rouler l’œuf doucement jusque sur ma langue. Un haut le cœur. J’ai fermé les lèvres. Un autre, un gros. J’ai fermé les yeux, respiré par le nez. Longues respirations, comme au cours de yoga. Ça goûtait acide, dégueulasse. La paroi qui retenait le liquide me semblait molle, ondulait sur ma langue, mon palais, mes joues. Œuf fragile. Je me disais qu’en obéissant, le gars allait me laisser partir. C’était certain. Faire ce qu’il voulait, pi partir. Chez moi, à la maison. Le gars a dit que je pouvais me racheter. Me racheter, ensuite partir. Cette idée-là m’a aidé à supporter le goût de l’œuf, à le garder dans ma bouche.
Après ça, on a emmené Tony-cadavre jusqu’au bateau. Le gars m’a attaché les mains pi il a parti le moteur. Couché à terre, je voyais juste le ciel, les étoiles. La lune. Le bateau allait vite, je le sentais, mais les étoiles restaient au même endroit. Toile profonde. J’avais aucune idée de l’endroit où on allait, comment j’aurais pu le savoir? Je savais même pas où il était le chalet de Tony pi je le sais toujours pas. J’étais perdu. Avec un fou, Tony-cadavre pi un œuf de femme-poisson dans ma bouche. En me concentrant sur ma respiration, je réussissait momentanément à oublier ce que j’avais dans la bouche. Ça durait quelques secondes, pi je revenais à l’œuf.
Deux heures plus tôt, tout allait bien. Moi pi Tony on buvait, on fumait, on se faisait du fun. Mais le pot était loin, vraiment loin. Fracture douloureuse.
Après un long moment, le bateau s’est immobilisé. Le gars m’a détaché pi on a pris Tony-cadavre. On l’a descendu sur un petit quai pi on l’a mis dans la boîte d’un pick-up. Tout ça délicatement, pour pas briser les œufs. Dans ma bouche, l’œuf. Encore là, toujours là. Je le sentais gigoter par moments, déformer sa mince pellicule avec son petit corps hybride. Comme une femme enceinte sent son enfant bouger. C’est à ça que j’ai pensé, je m’en rappelle, parce que ça m’a complètement dégoûté, cette image-là. Moi qui porte un être vivant dans mon corps. Le gars m’a rattaché les mains, encore, pi les pieds. Dans la boîte, avec Tony-cadavre.
Le gars conduisait doucement, lentement, pour pas malmener les œufs. Mais sur le chemin de terre, ça servait à rien. Couché sur le ventre, je devais lever la tête un peu pour pas accoter ma mâchoire sur le plancher de la boîte. Garder la tête dans les airs pour pas heurter ma face pi briser l’œuf. Les muscles de mon cou forçaient, tout mon corps tremblait. Dans ma bouche, l’œuf, œuf fragile. J’endurais la douleur pour pas le briser. Le gars m’avait dit de le garder, que ça allait être le mien. Si je le brisais, le gars serait fâché. Pas le briser. Juste avant que je sois à bout de force, j’ai comme réalisé que l’œuf était moins fragile que je pensais. Avec ma langue, j’ai testé sa texture, sa résistance. C’était mou, mais solide. Je devais faire attention quand même, mais j’ai tenté de déposer la tête. J’avais trop mal, j’étais plus capable. En tremblant, j’ai accoté ma joue sur le plancher, en maintenant l’œuf avec ma langue dans mon autre joue, pour l’amortir un peu. Une onde de chaleur a envahi mon cou, vague douce pi englobante qui s’est propagée dans tout mon corps. Fin de la douleur, respiration plus facile. Amer réconfort.
Le pick-up s’est arrêté longtemps après. Une heure, peut-être. Ou deux, je sais pas. Mais quand on est arrivé, il faisait noir. Complètement noir, une nuit de campagne. D’encre. Le gars est monté dans la boîte.

– Bon, tabarnac. Bravo ostie! Sont tout’ morts!
– …
– Montre-moi voir lui dans ta yeule. Ouvre.
– …
– Haaa, c’est ben beau ça, lui au moins y est vivant. C’est un signe ça! Le destin. Tu vas voir, tu vas l’aimer.
– …
– Bon en attendant, prends ton ami pi emmène-le en arrière.

Les membres libérés, la bouche enfin vide, Tony-cadavre dans mes bras, j’avançais pas vite. Tony avait toujours été plus grand pi plus lourd que moi. Les œufs morts dans son ventre m’écœuraient. Il y en a qui avaient éclatés, d’autres qui bougeaient plus. Une vingtaine de globes translucides avec un petit mutant à l’intérieur, mort.
Je marchais dans la nuit sans voir où j’allais. Le gars m’avait dit d’aller là-bas, là où il pointait. J’ai marché quelques secondes avant de recevoir un violent coup au dans le bas du dos; mon corps s’est cassé en deux pi je suis tombé vers l’avant. Mais j’ai pas touché le sol tout de suite. Je suis tombé pendant une fraction de seconde de trop. Je me suis écrasé au fond d’un trou, sur Tony-cadavre. J’ai senti les œufs crever sous mon poids pi un liquide imbiber mon chandail.
Autour de moi, la nuit, le noir. À genoux sur le sol mou, humide, boueux. Derrière le sombre horizon, encore les étoiles, la lune, au même endroit, immobiles. Une odeur de terre mouillée emplit l’air. La nuit était chaude.

Là, je suis dans un trou, un trou dans le sol. J’ai essayé de sauter; le bord est trop haut. J’ai tâté les parois. Quatre murs, un trou carré. Rien à faire. Attendre.
– Une ‘tite clope mon Tony?
– …

L’autre Arielle – 1re partie

février 6, 2011

J’ai écrit une nouvelle l’année passée pi je sais toujours pas quoi faire avec, elle est trop longue pour la plupart des revues pi d’un genre qui fitte pas tant avec les politiques éditoriales classiques. Facque j’ai décidé de la publier icitte, en 4 parties, une à chaque dimanche du mois de février. Si j’avais à décrire le ton en quelques mots, je dirais fantastico-trash-gore. Ou dequoi dans le genre.

L’autre Arielle

Je comprends pas. Depuis deux heures, je repasse l’après-midi dans ma tête, pour essayer de comprendre ce que je fais ici. J’ai beau essayer, j’arrive pas à agencer les évènements dans une trame logique. Je veux dire : je me rappelle très bien tout ce qui s’est passé – ça vient d’arriver – mais j’y crois toujours pas.

L’air stagnait lourdement, tellement humide qu’il flottait sur le lac. Aucun nuage, juste le ciel bleu qui rosissait à l’horizon. On voyait déjà la lune, toute pâle, au-dessus des arbres. Notre canot bougeait pas, immobile dans l’eau brune. Seul Johnny Cash donnait un peu de vie au décor silencieux. Sa voix grave imprimait des cercles concentriques sur la surface lisse du lac assoupi. Molle, tranquille fin d’après-midi.

– Hey ça veut dire quoi bâbord?
– …
– …
– C’est pas l’éléphant?
– Han?
– Ben oué, l’éléphant… tsé y’avait un suit vert. C’tait le roi des éléphants.
– Non, ostie, j’te parle pas de Babar l’éléphant… À bâbord.
– Heu… bâbord c’est à gauche pi tribord c’est à drette.
– T’es tu sûr?
– Ché pas.

Moi pi Tony, assis dans le canot. On finissait les dernières Bowes. Les autres gisaient dans leur carton mouillé, à côté des cannes à pêche qu’on avait pas touchées de l’après-midi; un prétexte, rien d’autre. On voulait juste relaxer, boire des bières, fumer des battes. Profiter du beau temps, pendant que ça durait. On avait passé l’après-midi à jaser pi écouter de la musique. À se faire du fun pi s’en foutre.

– Hey on s’fume l’autre batte pi on s’pousse?
– Han?
– Le batte?
– Ha! Ben sûr. J’étais dû, moi, là.
– On a pas pogné grand’chose han!
– Bah on s’en crisse, tsé. Fuck les poissons.
– Ouin… anyway j’aime crissement pas tant ça du poisson.
– Bah c‘est bon, tsé, d’temps en temps.
– …
– …
– Hey… tsé d’la poutine… y en a à plein de sorte astheure… y en a tu au poisson?
– Fuck man pourquoi on en ferait au poisson?
– Bah ché pas.
– Oublie ça. Ça goûterait l’calvaire.
– Ouin.
– T’imagines tu à quel point tu puerais d’la yeule après ça?

J’ai pris la dernière poffe, celle qui brûle les doigts, pi j’ai lancé le mégot dans le lac. Le signal du départ. On zigzagait laborieusement, à cause de la bière pi de notre incompétence dans le domaine du canotage. Je sais pas pour Tony, mais moi, j’étais pas mal buzzé. Ma rame s’enfonçait dans l’eau doucement; j’aurais pu pagayer encore longtemps, sans réfléchir. C’était agréable. Le lac avait l’air plus tranquille que jamais. De toute la journée, on avait vu personne. Même pas de vent. Juste l’humidité qui nous étouffait gentiment.

C’est ce moment-là que ça a dérapé. Une rupture dans notre journée parfaite, dans notre vie normale. Un petit moment, une seconde qui a tout changé. Comme l’instant où un oiseau s’écrase contre une fenêtre. C’est le vrai commencement de toute l’histoire.

– Yooo quessé ça?
– Han?
– Là-bas! Tchèque!
– Dequoi crisse!
– Ostie, sur le bord de l’eau, tu vois pas?
– Crisse pointe comme du monde!
– T’es-tu aveugle ostie! Non sérieux, juste là, dins quenouilles… tu vois-tu?
– J’pense. Mais pourquoi tu m’montres ça?
– Ben là câlisse c’est des jambes!
– Han? Dequoi tu parles?
– Des jambes ostie, tu l’sé c’est quoi.
– Man, t’as trop bu ou ché pas…

C’était vraiment des jambes. Toutes blanches. Des jambes qui dépassaient des herbes hautes. Comme si quelqu’un était tombé dans l’eau pi que ses pieds trainaient encore sur la rive. Un corps à moitié submergé. Elles bougeaient pas. On voyait l’eau brune pi des jambes blanches qui sortaient. On s’est rapproché; des jambes de femme. Des belles jambes, avec des petits mollets bien formés pi des pieds avec les ongles peints en rouge. Debouts dans le canot, on était silencieux, tendus.

– Man, c’est quoi câlisse?
– Ben… quèqu’un de mort. La tête dans l’eau pi toute.
– Mort?
– Ben là!
– Heu… on fait quoi? Appeler la police?
– Ben oui toé, appeler la police. Nonon, fuck off, on se pousse. Anyway j’ai pas envie de rester icitte plus longtemps, j’ai des affaires à faire à soir.
– Tu veux qu’on la laisse là?
– Ben oué. Au pire quelqu’un d’autre va tomber là-dessus.
– Pi si personne…
– Ha câlisse a rest’ra là, quessé tu veux ça m’fasse!
– Ben là… c’est pas un crime ou dequoi…
– Quoi?
– Ben… genre pas aider quelqu’un…
– Calvaire, on l’a pas vue, pi c’est toute. Tsé est ben cachée pareil.
– …
– Mais on peut ben aller voir pareil.
– Quoi?
– Aller voir pareil. Juste demême.
– Voir un cadavre?
– Ché pas… personne va nous voir.

On a tiré le canot sur le bord de l’eau. Les jambes immobiles juraient dans le soir qui tombait, tellement blanches qu’elles brillaient presque. On les regardait sans bouger, sans savoir quoi faire. La bière pi le pot ajoutaient à l’effet irréel, engluaient mes réflexions qui se limitaient à remarquer l’incongruité des jambes sur la rive. Dans le flou de l’ivresse, c’était des jambes, rien d’autre. Je constatais juste leur présence, sans comprendre leur signification. Ni un cadavre, ni une femme noyée, juste une paire de jambes sur le bord d’un lac. Comme un élément de décor au mauvais endroit. Pourtant, elles se fondaient dans le paysage. Tranquilles, immobiles, éternelles.
Le temps passait, l’horizon se rapprochait peu à peu.

– On la sort de d’là?
– …
– Pogne son pied.

Peut-être que c’était la bière, peut-être le silence qui planait sur le lac, peut-être l’étrangeté de la situation qui rendait le monde réel trop loin pour y penser; je sais pas pourquoi, mais je me suis dit qu’on allait la sortir de là. Lui prendre les jambes pi la tirer hors de l’eau.

La peau était gluante, couverte d’une couche de substance visqueuse. Glissante, comme la peau savonneuse dans la douche. Froide, aussi, pi toute molle : les doigts laissaient des marques aux endroits que j’avais touchés, sillons qui disparaissaient en quelques secondes. Quand j’y repense, je comprends pas comment j’ai pu faire ça sans être dégoûté. Je frissonne juste à y penser.
Une main sur la cheville, l’autre au-dessus du genou, notre prise était bonne. On a tiré trop fort; le corps est sorti d’un coup pi on est tombé sur le cul.
C’est là que les jambes se sont mises à bouger, que l’adrénaline a kické.

– Va chercher la rame! Enwèye ostie!

Une réaction d’auto-défense, rien d’autre. Les jambes battaient l’air comme si elles voulaient se libérer d’une étreinte menaçante. Blanches, laides. Vivantes. J’ai pris la rame pi je me suis approché. Plus rien existait, plus rien, juste l’affaire qu’on venait de tirer hors de l’eau.
Les jambes blanches continuaient à gigoter sur la rive, comme si elles pédalaient sur un vélo détraqué. Blanches, avec les ongles peints en rouge. Normales jusqu’aux hanches. Mais un peu au-dessus du pubis, la peau s’écaillait. Un peu au dessus du pubis, c’était plus une femme, ni même un humain. La peau luisante pi huileuse réfléchissait les derniers rayons de l’après-midi, je m’en rappelle, ça brillait. Sur les côtés, des fentes palpitantes s’ouvraient pi se refermaient en spasmes désespérés. Les nageoires faisaient un bruit mou en frappant les flancs mouillés. Le corps sautillait sur place, secoué de convulsions asphyxiées.
J’arrivais pas à comprendre ce que je voyais, à rationaliser ce que j’avais sous les yeux. J’ai levé la rame au-dessus de ma tête pi j’ai donné un grand coup de hache sur le corps écailleux. La rame a rebondi sur la peau luisante comme sur un ballon trop gonflé. Le deuxième coup a atteint l’œil, l’œil sans paupière, l’œil qui semblait me voir, qui m’observait. Le globe a éclaté sous le coup, répandant un liquide blanchâtre sur les écailles brunes. Je continuais à frapper dans la plaie, rougissant le bout de ma rame qui projetait du sang chaque fois que je la levais au-dessus de ma tête. Puis la rame a percé les écailles. Le sang a jailli de la peau crevassée. Un liquide d’un brun translucide a coulé de la gueule du poisson. Il continuait à bouger, moi je continuais à frapper.
Je m’acharnais sur le corps sans penser aux jambes qui se débattaient, ni à la chose que je frappais; je devais continuer. Trop bizarre, trop horrible. C’était incontrôlé, mes mouvements, ma réaction; instinct de survie. Mais la menace était pas physique, pas dangereuse pour ma vie. Elle l’était pour ma santé mentale, pour le monde dans lequel je vivais, pour ce que j’acceptais comme étant la réalité, la vérité.
Du sang noir pi épais s’écoulait des branchies; une matière jaunâtre sortait de l’œil crevé à chaque coup que je portais. De la compote de pommes, on aurait dit. La tête horrible avait arrêté de gigoter, les jambes aussi. Je tapais sur le corps mutilé, immobile pi crevé. Puis, le ventre s’est ouvert, j’ai senti la chaleur sur ma peau, comme un souffle : l’odeur était dégoûtante. Molle, piquante. Les tripes ont coulé sur la berge, jusqu’à mes pieds. Des dizaines de petits globes ont roulé dans tous les sens. En reculant, j’ai pilé sur je sais pas quoi pi je me suis retrouvé étendu dans la pâte visqueuse. Dans les entrailles d’un monstre, mes mains glissant dans un liquide gluant. Peau souillée. Peau collante.
Sur la berge, une femme-poisson en bouillie. Les jambes bougeaient plus, le haut du corps croupissait en silence sous la brunante. Pâte à modeler multicolore fondue au soleil. Silence pesant. Sur le sol, une multitude de petites boules grosses comme des balles de ping-pong. Tony en a pris une dans ses mains, il l’a crevée maladroitement entre ses doigts. Un réflexe, comme une brûlure. Le têtard s’est écrasé au sol, le pied de Tony par-dessus.

– Man… je…
– Tabarnac tabarnac… crisse… tabarnac!
– C’est… quoi ça ? C’est quoi? Jo, ostie, c’est quoi?!
– Man je l’sais tu moé, crisse! Mais y est mort…
– …
– Je… je l’ai tu tuée?
– Ça a l’air…
– T’as-tu vu toi itou? Man une… une tête de poisson… comment ça?
– Je l’sais pas dude… pourquoi je l’saurais?
– Mais… c’est quoi?
– C’est, genre… une sirène… backside.
– … Fuck.
– …
– …
– On fait quoi?
– On s’pousse. Live.

Le temps de retrouver les rames, de mettre le canot à l’eau, de calmer un peu notre cœur convulsant. Un bruit. Un moteur. Un bateau. De plus en plus près.

La suite : dimanche prochain, 13 février.

La voix révélatrice – Pastiche de Poe

janvier 19, 2011

Y a quelques mois, j’ai lu les Histoires extraordinaires, pi j’ai remarqué que plusieurs nouvelles se ressemblaient sans les thèmes pi la construction. J’ai essayé de faire un pastiche (en toute humilité), pi voici le résultat.

La voix révélatrice

Il y a quelques jours, un souvenir m’est revenu, un souvenir clair qui ressurgissait pour la première fois depuis mon enfance. Des circonstances extraordinaires me poussent à tout transcrire sur papier, ne serait-ce que pour servir de leçon aux générations futures, ou, mieux, pour m’innocenter. Tant d’étrangeté est difficilement acceptable en ce siècle de rationalisme scientifique, et pourtant, l’évidence est bien là.
Pour bien comprendre mon histoire, vous devez savoir que j’ai grandi à la campagne – la campagne anglaise, avec ses vertes collines et ses moutons paisibles. Mes parents étaient de simples bourgeois, n’ayant que l’argent et les profits en tête. Leur esprit primitif semblait incapable de comprendre ce qui ne pouvait se calculer en billets verts. Pourtant, ils réussirent à cumuler une richesse considérable, amplement suffisante pour vivre dans une confortable opulence.
Il me semble avoir toujours été de nature taciturne, plus enclin à l’étude de traités de philosophie qu’aux jeux brutaux et grossiers de mes frères et sœurs. Je ne sais trop si c’est quelque prédisposition génétique, sommeillant quelque part dans le sang impur des mes parents, ou l’influence des paysages pittoresques qui encerclaient la résidence familiale qui orienta mon esprit dans de telles voies, si peu attrayantes aux yeux d’un enfant normal. Dès que je fus en âge de le faire, je me mis à lire; quelques mois me suffirent pour épuiser la médiocre bibliothèque que mon père avait accumulée avec les années. Privé de mon seul plaisir, je sombrai dans une sorte d’apathie qui dura plusieurs jours. Je passais des heures assis, sans bouger, devant la triste bibliothèque qui ne pouvait plus rien m’apporter.
Heureusement pour moi, le vieux domestique de la famille, malgré une infirmité marquée, conséquence d’un mariage consanguin, me témoignait une grande amitié et m’assistait dans mes longues nuits de veille dans le bureau de mon père. Son âge avancé courbait son dos en un angle inquiétant; son bec de lièvre révélait des dents d’un jaune grinçant. Mais derrière cette apparence horrible se trouvait une âme élevée, un esprit raffiné sachant apprécier les vers les plus subtils et les concepts les plus abstraits. Je lui dois tout : mon éducation littéraire et philosophique, mais aussi mathématique, et même, je peux l’affirmer aujourd’hui, spirituelle : les arts les plus pervers et les plus vils que le savoir de l’homme ait jamais engendrés. En effet, le domestique – il s’appelait Jörn – n’était pas anglais – personne ne savait d’où il venait, ni comment il avait abouti au service de ma famille. Je ne le sais toujours pas; toute cette histoire reste embourbée dans un mystère épais et puant.
Le souvenir que je garde de lui est assez flou, presque métonymique : je ne me souviens que de son œil – son œil éclairé et fou, sans cesse tournant dans tous les sens, comme guettant quelque menace. Sa manière de vous fixer était des plus singulières, et ce regard – mon dieu, ce regard! – restera dans ma mémoire jusqu’à ma mort, et bien au-delà. Aux yeux d’un enfant, même le plus précoce, une figure d’une telle sorte n’offrait point de raison d’être effrayé; pour un adulte toutefois, son aspect était des plus repoussants, et sa seule présence suffisait pour chasser les invités. C’est pourquoi mon père le gardait hors de vue; il lui déléguait les besognes les plus ingrates. Mais le pauvre n’en ressentait aucune amertume, et à la façon dont il baissait la tête en acceptant les ordres de mon père, je voyais bien qu’il savait sa situation sans issue et qu’il l’avait depuis longtemps acceptée ainsi. Toute la journée, il errait à travers le manoir, à désherber ses jardins boueux et à dépoussiérer ses sombres corridors. Il va sans dire qu’aujourd’hui, avec du recul, je ne comprends toujours pas comment j’ai fait, jadis, pour ne pas mourir d’effroi à la seule vue de cet homme au physique monstrueux.
Toutefois, et très bizarrement, sa voix était d’une tendresse, d’une limpidité que je ne pourrais qualifier que de mystique. Chacune de ses paroles était propulsée avec tant de douceur qu’on aurait dit la rosée chuchotant sur les feuilles des arbres. Elle contrastait avec toute sa personne, cette voix, et j’ai compris trop tard que j’étais le seul de la maison à l’avoir jamais entendue – cause de ma perte.
Il me conseillait des livres qu’il sortait de je ne sais trop où, sa collection personnelle probablement; il s’improvisa enseignant et se chargea de mon éducation. De professeur il devint mentor, et au cours de ma quatorzième année, il se proclama mon père spirituel, titre que je lui accordai sans réfléchir. Nos rencontres se déroulaient toujours aux petites heures de la nuit, lorsque la grande maison sommeillait. Ces instants nous projetaient hors du temps, et il me semble que plusieurs nuits avaient le temps de s’écouler avant que le soleil ne se montre à l’horizon. Mais jamais nous ne fûmes découverts. Bien sûr, je voyais bien des suspicions de la part de mon père, probablement dues au changement de ma personne et de mon comportement. De plus en plus, il donnait à Jörn des tâches difficiles à accomplir pour quelqu’un de son âge et témoignait moins de sympathie qu’auparavant à son égard, si jamais sympathie il y eut.
Son attitude envers moi changea aussi; je le sentais plus sévère, plus attentif à mes actions, à la direction de mes regards. Mon père se mit à m’interroger sur mes lectures, à s’intéresser à mes activités solitaires – je me savais surveillé. Mais cela n’eut aucune répercussion sur nos rencontres nocturnes, qui continuèrent comme à l’habitude. C’est alors que Jörn m’initia au pouvoir de l’absinthe et de l’opium. Selon lui, l’adolescence, permet d’atteindre des états de conscience auxquels même les plus grands yogis ne peuvent que rêver.
Un soir d’été particulièrement humide, comme si le ciel allait couler sur nos têtes, l’opium déclencha une vision qui resta toujours mystérieuse : nous étions dans le bureau de mon père; Jörn m’enseignait à laisser errer mon âme hors de mon corps quand j’eus l’impression que l’air s’était enfui de la pièce. Les murs de pierre grise donnaient un aspect lugubre à cette nuit sans étoile. Le grand chandelier diffusait sa pâle lueur dans la pièce lourde de tant de méditation.
Soudain, le corps du vieux domestique prit des proportions gigantesques et ses traits se stabilisèrent comme jamais auparavant sous la lumière chancelante des chandelles. Il devint comme une ombre – une ombre claire et distincte. Sa voix se fit plus liquide, et ses flots me percutèrent comme une cascade dans un bassin stagnant. Ses paroles firent naître en moi les plus grandes terreurs. L’immense silhouette déblatérait sur les possibilités infinies de l’esprit humain, et sans comprendre, j’absorbais le savoir sombre et oublié qu’il vomissait de sa bouche tordue. L’œil de mon maître tournoyait sans répit, brillant dans l’ombre pendant qu’il m’emmenait aux limites de la connaissance et de la mort. Le secret qu’il me révéla ne fut qu’un murmure. Ses paroles se gravèrent dans mon esprit; je les buvais comme on savoure une coupe d’Amontillado.
Tout à coup, des pas résonnèrent dans le couloir. La porte s’ouvrit brusquement. Mon père entra dans la pièce, en furie. Son regard se posa sur moi, puis sur le vieil homme noueux. Son visage montra l’expression de la haine la moins contrôlée. Il courut vers Jörn et le poussa à travers la fenêtre ouverte derrière lui. L’œil du domestique, pour la seule fois, se posa sur moi alors qu’il basculait vers la cour intérieure, plusieurs mètres en contrebas. Son corps fit un bruit sourd en s’écrasant sur le pavé. Puis, sans un mot, mon père me regarda, braquant sa face convulsée dans mes yeux, et quitta la pièce sans un mot.
Le lendemain, à la première heure, je fus jeté dans une diligence et envoyé aux États-Unis. Je ne revis plus jamais mon père.
En Amérique, je vécus une vie de paria, mendiant chaque jour pour un peu de pain dur. Mon existence était partagée entre la mendicité et l’alcool. L’enveloppe de chair qu’était mon corps dépérissait de jour en jour, laissant mon esprit vagabonder et s’envoler dans l’ivresse de cette vie sans cesse oubliée.
Jusqu’à ce que j’entende à nouveau la douce voix de Jörn. D’abord, je la perçus faiblement, comme poussée par un vent lointain. Je poursuivis en titubant l’origine de ce murmure, parcourant la ville dans ses moindres recoins sans trouver l’homme à qui elle appartenait. Puis elle devint plus forte et d’une clarté inouïe. Ainsi, la voix désincarnée de mon professeur maudit envahit mon existence, me poussant aux frontières indécises de la raison. C’est alors qu’un miracle se produit : Éléonora.
Cette femme, qui m’était totalement inconnue, me prit en pitié et se fit un devoir de me remettre sur pieds. Elle m’offrit une chance de refaire ma vie, m’engageant comme domestique dans sa maison de campagne, bien enfoncée dans l’état brumeux du Vermont. Elle me traita avec grande tendresse, comme si j’étais son enfant; elle me nourrissait quand j’en étais incapable et me chantait des berceuses pendant mes crises de délirium tremens. Je revins peu à peu à moi, retrouvant l’être que j’avais été jadis. La première chose que je voulu faire lorsque mes forces revinrent fut de remercier ma bienfaitrice. Je venais tout juste d’ouvrir les lèvres lorsque je fus pris d’une grande terreur : la voix de Jörn, plus limpide que jamais, résonna dans la pièce. Quelques jours ont été nécessaires pour m’habituer au son mielleux qui sortait désormais de ma bouche.
Je gardai jalousement ce secret, redoutant d’être envoyé à l’asile si je faisais part à quiconque de ce phénomène étrange. Le changement radical dans le son de ma voix fit naitre dans mon esprit toutes sortes de questionnements qui me torturèrent pendant des jours et des nuits. Puis, ce matin, j’eus enfin une réponse.
Dans la cour de la grande maison, des enfants jouaient au ballon avec force cris et rires. Je les regardai longtemps avant d’apercevoir un jeune garçon, à l’écart. Assis à l’ombre d’un arbre, il avait le nez plongé dans un gros livre à reliure de cuir.

Une histoire de monstre

octobre 20, 2010

Tsé, des fois t’as envie d’écrire dequoi juste pour le fun, sans te faire chier à vouloir le publier pi toute. Pi là t’écris, juste pour écrire pi raconter une histoire. Fuck le style, la structure, le deuxième degré. T’écris comme ça vient, sans chercher plus loin, sans avoir su’l bout dla langue le mot qui serait parfait mais que t’arrives pas à trouver. tu t’en crisse que ça soit parfait, tu fais juste écrire.
Le nouvelle qui suit, c’est drette ça. Juste une histoire à prendre au pied dla lettre. Jme suis même pas forcé pour trouver un titre.

Le monstre du chemin de campagne

Je marchais dans le bois quand c’est arrivé.
Un petit chemin de campagne qui menait au chalet dont un ami m’avait demandé de m’occuper pendant son absence. Un voyage au Pérou, je pense – peu importe. Je devais ramasser le courrier, aérer un peu la place, arroser les plantes.
Mais j’avais les clés, et pas de chalet à moi. J’aime bien la campagne; j’en ai profité. C’était l’été et je n’avais rien de mieux à faire, aucune occupation ne me retenait en ville.
Je passais mes journées à lire au soleil avec ma bière, à me baigner dans le lac tout près; le soir, après souper, je sortais marcher un peu et fumer un joint – pour la digestion – avant de m’installer devant la télé pour écouter un film. Pour moi, c’était le paradis, presque. Mais tout ça est sans importance.
Je marchais dans le bois, donc. Je revenais de ma petite promenade, que mon joint bien entamé rendait agréable. Le soleil se couchait, loin derrière les érables. La brunante. Les ombres s’étiraient, tout semblait s’allonger; la pénombre et le pot ont peut-être excité mon imagination. Mais ça n’explique en rien ce qui s’est passé ce soir-là.
Le chemin de terre que je suivais était bordé des deux côtés par un bois épais. À toutes les centaines de mètres, à peu près, une entrée de cour s’enfonçait entre les arbres et menait à un petit chalet, qu’on pouvait seulement deviner grâce à une petite pancarte numérotée sur un piquet. L’entrée de mon chalet d’emprunt se trouvait à quelques dizaines de mètres devant moi, et je venais de dépasser le 213; j’y étais presque. Certain d’être tout à fait seul, à cette heure et à cet endroit, je chantais à voix haute depuis quelques minutes, oubliant mon joint qui, sans aide, s’était éteint. C’est en m’arrêtant pour le rallumer que j’ai entendu un bruit dans le feuillage, loin derrière moi.
Dans le silence, dans la nuit, les sons portent loin. L’entrée du 213 était plongée dans l’ombre. J’ai regardé un peu autour : rien. Juste comme j’allais me retourner, j’ai aperçu un mouvement. Une silhouette se détachait de celles, hautes et immobiles, des arbres alentour. Un animal. J’ai tout de suite pensé à un chevreuil; j’en avais déjà vu plusieurs dans le coin. J’ai continué à observer. Il s’est avancé dans ma direction. C’est là que j’ai compris que ce n’était pas un chevreuil.
En une seconde, j’ai infirmé toutes mes hypothèses : un grand danois, un loup, un ours. Trop costaux, trop grand, trop élancé. En passant de la pénombre à la faible lueur du soleil couchant, le gentil herbivore que j’avais anticipé était devenu quelque chose de beaucoup plus intimidant. Une chaude vague d’adrénaline a parcouru mon corps. Je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait être – je n’en ai toujours pas. Il ne bougeait pas. Nous étions seuls au milieu de la campagne, et il me regardait. Me fixait.
J’attendais qu’il s’en aille. Peu importe ce que c’était, ça avait l’air méchant. Je ne voyais qu’une silhouette, une silhouette que je ne voulais pas avoir plus près de moi. Avant longtemps, il se lasserait de moi et repartirait. Je l’espérais.
L’animal a penché sa tête sur le côté, à la manière d’un petit chien à qui on montre un biscuit. Ce mouvement, brisant l’immobilité du moment suspendu, m’a terrorisé.
J’essaie de décrire avec précision ce qui se passait dans ma tête à ce moment-là. Mais dans ce genre de situation, on réfléchit beaucoup moins qu’on pourrait penser, ou plutôt, d’une façon étrangère à la logique. Peu importe; sans me retourner, j’ai fait quelques pas vers l’arrière, vers le chalet, en pensant aux vélociraptors de Jurassic Park. L’animal ne bougeait toujours pas – il voulait attirer mon attention. La peur que d’autres créatures semblables me surveillent elles aussi en attendant le bon moment pour me sauter dessus a surpassé mon désir d’éviter de quitter l’animal des yeux. Rapidement, et toujours en reculant, j’ai jeté un coup d’œil à gauche et à droite.
Rien.
Mon regard est revenu sur lui; il s’était mis à marcher. Dans ma direction. Nouvelle marée d’adrénaline. Il attendait certainement que je tourne la tête.
Sa démarche était maladroite. Son corps tanguait d’un côté puis de l’autre, de façon saccadée. Il avançait sans hâte, trop loin pour que je le distingue clairement. Ses pattes étaient longues et musclées. De fines oreilles se dressaient sur sa tête. Toujours, ses yeux fixés sur moi, brillant par moment dans la lumière mourante de la fin de soirée.
Je devais accélérer le pas. Toutefois, je me répugnais à lui tourner le dos; pour certains prédateurs, c’est un signe de faiblesse, donc une raison de montrer leur supériorité. J’ai augmenté mon allure comme je le pouvais à reculons. Mais dans le noir et sur un chemin de terre, c’était difficile. La distance entre moi et la bête se creusait tranquillement. J’ai gardé la cadence. Un peu rassuré, j’ai tourné la tête pour voir où j’étais rendu. Près de l’entrée de la cour. Quand mon regard s’est posé sur l’animal, il était debout. Sur ses pattes de derrière. J’ai alors compris la raison de sa démarche cahoteuse : ses membres antérieurs s’articulaient dans le sens contraire des pattes des animaux quadrupèdes. Comme les membres d’un singe. Comme les membres d’un homme. Il devait faire deux mètres de haut.
Puis il s’est mis à courir vers moi. L’animal que j’étais incapable d’identifier me chargeait. D’une façon puissante et lourde.

Je me suis retourné et j’ai couru. Sans regarder en arrière, pour ne pas perdre de temps, mais aussi pour ne pas voir l’animal me rattraper, s’il me rattrapait. Si je devais mourir, autant m’épargner une peur inutile : j’aimais mieux ne pas le voir venir. Peu importe; j’ai tourné le coin de l’entrée et grimpé l’escalier de la galerie. Derrière moi, j’ai entendu des pas sur le gravier.
J’ai refermé la porte du chalet en poussant le loquet, d’une valeur pratiquement nulle, mais symbolique. J’ai fermé en vitesse toutes les lumières et pris le premier couteau que j’ai eu sous la main. Immobile, dans le coin de la cuisine, j’attendais. Tout essoufflé que j’étais, je m’efforçais de contrôler ma respiration. Devant moi, les grandes fenêtres d’encre du salon me renvoyaient mon reflet, tremblant et pathétique. Je ne voyais pas l’extérieur. Il pouvait être juste derrière la vitre, à me regarder. Mais je n’osais pas bouger.
Un grand bruit métallique troubla le silence; ma voiture. Quelque chose venait de heurter ma voiture. J’ai paniqué. L’animal cherchait à détruire mon seul moyen de quitter les environs; quelque chose comme ça. Le silence est retombé, complet, ravalant les échos de la tôle froissée.
Après quelques minutes sans le moindre bruit, je me suis risqué à bouger. Sur la pointe des pieds, je me suis dirigé vers la porte d’entrée, d’où je pouvais voir la cour. Le soir avait pris une teinte grisâtre. Aucun mouvement. J’ai glissé mon regard par chacune des fenêtres, sans rien trouver, et sans pour autant être rassuré. Lentement, j’ai fermé les rideaux; les nombreuses fenêtres étaient révélatrices de l’intérieur du chalet. Comme ça, isolé, je me sentais un peu plus en sécurité.
Je me suis assis, le dos accoté sur la porte d’entrée. L’animal avait profité de mon inattention pour me donner la chasse, m’avait poursuivi jusque dans l’entrée de la cour, pas plus d’une vingtaine de mètres de la porte d’entrée. Il m’avait vu pénétrer dans le chalet. L’animal : la chose sur deux pattes qui avait couru vers moi. J’imaginais ce qui serait arrivé si j’avais continué à chanter comme un con pendant quelques minutes de plus. Je frissonnai.
Chaque coup d’œil vers l’extérieur m’emplissait d’une horreur gluante, brûlante. Le temps de scruter un instant la nuit, puis je baissais la tête, craignant de révéler ma position, ou je ne sais trop quoi. J’aurais presque préféré l’apercevoir par la fenêtre, tapis dans l’ombre, apprenant ainsi qu’il était toujours là, plutôt que de continuer à attendre dans une incertitude terrifiante. Ma mémoire a conservé en détail le point de vue que j’avais depuis mon poste d’observation. Les marches devant la porte, ma voiture à droite, sur le gazon, la corde de bois à gauche et au milieu, longue et sans fin, la cour de gravier qui se perdait dans la nuit. J’ai cru voir la créature sortir de chaque coin d’ombre, surgir de derrière chaque bosquet, chaque arbre. Mais le tableau est resté le même pendant un long moment.
Juste comme je commençais à me calmer, j’ai entendu des pas dans le gravier. Tout près. Je me suis recroquevillé sous la fenêtre, comme un insecte cherchant à éviter les regards. Un corps lourd faisait craquer les marches du patio. Typhon d’adrénaline. J’entendis une sorte d’éternuement, peut-être un grognement; la bête se trouvait à moins de deux mètres. Seule la porte nous séparait. Maigre muraille.
Des reniflements, puis un frottement. Je devinai un museau tentant de s’introduire sous la porte, guidé par mon odeur. Soudain, des griffes crissèrent sur la fenêtre. Le grincement était horrible, résonnant dans le chalet vide. S’il essayait d’enfoncer la porte, la vitre ne résisterait pas.
Il sembla s’écarter. Mon cœur s’est emballé à la pensée que l’animal prenait un élan. J’attendais un choc; je me trompais. Le bruit sourd et mouillé d’un liquide qui se déversait sur la porte et le patio. Mes pantalons s’imbibèrent. L’odeur était forte, caractéristique : de l’urine. Immobile, dégoûté, j’attendais.
Des pas sur le bois de la galerie. Dans le gravier, dans les broussailles. Puis plus rien. Je ne bougeais toujours pas. Pas encore.
Puis, certain qu’il était parti, je risquai un œil incertain par la fenêtre. La nuit, seule et immobile. Je rampai jusqu’à la cuisine, décidé à ne pas bouger jusqu’au lever du soleil. Pas question de sortir d’ici là.
C’est ce que j’ai fait.
Au petit matin, je me suis relevé, tout engourdi de cette nuit passée accroupi. En vitesse, j’ai ramassé mes affaires et je suis sorti. J’ai couru jusqu’à la voiture. Une grosse bosse renfonçait la tôle sur l’aile arrière droite. Je n’ai pas ralenti avant d’arriver en ville.

Les plantes de mon ami sont toutes mortes, mais je m’en fous. J’ai inventé une histoire, il m’a cru. Je ne lui ai pas parlé de l’incident. À quoi bon? Quand même, pour le bien de ma santé mentale, je l’ai couché par écrit. Pour me décharger de son poids.
J’ai essayé de me l’expliquer. J’ai consulté des livres sur la faune de la région, fait des recherches sur des sites de cryptozoologie. J’ai même vérifié si c’était un soir de pleine lune. Ce ne l’était pas. Rien. Tout ce qu’il m’en reste, c’est une bosse sur ma voiture et un récit débile.

L’église – Modifications

septembre 24, 2010

J’ai posté ce texte-là y a quèques semaines déjà. Je l’ai relu pi modifié un peu, facque jle repost, vu que je trouve qu’y est paspire. Amusez-vous.

Entre les chevelures de tuiles rouges une mince silhouette dansait devant le ciel profond. Elle semblait voler sur place, peignant l’ombre de ses gargouilles sur la banalité des brunes façades. Le sol engloutit mes pieds et je restai là, cherchant le reflet de mes baisers dans ses hautes paupières.
Puis, le clocher éclata et coula jusqu’à mes pieds, se cristallisant en vitraux de couleurs ardentes. Mon regard glissa le long de cette langue tirée et je me retrouvai soudain tout petit devant l’énorme portail aux dents de stalactites, mis en garde par l’idole torturée qui s’érodait seule au creux de la gueule de pierre.
Le jour apeuré me laissait deviner des voûtes s’étirant sur l’horizon, des murs palpitants de chaleur souple, des colonnes qui soutenaient la nuit, délices existant seulement dans le ventre abyssal du chaste bâtiment.
J’attendis la nuit pour me vautrer dans les entrailles que j’entrevoyais, afin de me gaver du vin qui noyait les yeux illuminés de l’antre sacrée. Je m’avançais à tâtons dans la folle brume, guidé par l’odeur sucrée s’échappant de la lourde porte encore béante. Les épais battants de chênes luisaient dans la nuit et glissaient sous mes doigts pendant que je violais le mutisme de l’église pétrifiée. Rapidement, et un peu malgré moi, je trônai sur la peau froide et blanche de l’hôtel, tressaillant sous la douceur de ses caresses de givre.
J’ouvris les yeux. L’église me surplombait, plongeait, sombrait en moi, dénudant mes soupirs de ses chuchotements incertains, écho triste et lugubre qui volait entre les arches aux courbes démentes. Je pris conscience du dialogue qui saturait l’air que je respirais. À l’infini, les murs se rencontraient en des angles étranges, tanières propices à l’éclosion de la nuit. Piliers surplombant lentement les visages sculptés sur les murs, voûtes suspendues par des fils hésitants, vitraux ternissant sous la lueur de la lune; j’étais englué dans cette irrégularité immonde.
Brutalement, milles confessions résonnèrent sous l’échafaud du clocher, les voûtes pleurèrent leurs murmures sur mon visage, glaçant mon corps de leur lourdeur atroce. J’étais trempé de remords, mes mains tachées par le sang de paroles ancestrales, mes yeux devinrent deux plaies béantes, suintant la peur acide et exorbitée, ma langue goûtait les cris gutturaux des fous et les mornes plaintes des suicidées, mon souffle se débattait entre des voiles pestilentiels et âcres, brumes faisant de mes poumons de noires cheminées vomissantes. Mes tripes se serraient, grouillaient, voulaient s’extirper de mon corps, je stagnais en des flots d’ébène, souhaitant que ces souvenirs ne me suivent pas dans la mort.

Puis je me vis, cadavre gonflé et noirâtre, désarticulé sur l’hôtel de marbre, déjà putréfié et nauséabond, avec autour de moi l’or terni des statues et des coupes, baignant dans la plus totale obscurité, et me mis à délirer à voix basse.

L’église

juillet 18, 2010

Entre les chevelures de tuiles rouges une mince silhouette dansait devant le ciel profond. Elle semblait voler sur place, peignant l’ombre de ses gargouilles sur la banalité des brunes façades. Le sol engloutit mes pieds et je restai là, cherchant le reflet de mes baisers dans ses hautes paupières.
Puis, le clocher éclata et coula jusqu’à mes pieds, se cristallisant en vitraux de couleurs ardentes. Mon regard glissa le long de cette langue tirée et je me retrouvai soudain tout petit devant l’énorme portail aux dents de stalactites, mis en garde par l’idole torturée qui s’érodait seule au creux de la gueule de pierre.
Le jour apeuré me laissait deviner des voûtes s’étirant sur l’horizon, des murs palpitants de chaleur souple, des colonnes qui soutenaient la nuit, délices existant seulement dans le ventre abyssal du chaste bâtiment.
J’attendis la nuit pour me vautrer dans les entrailles que j’entrevoyais, afin de me gaver du vin qui noyait les yeux illuminés de l’antre sacrée. Je m’avançais à tâtons dans la folle brume, guidé par l’odeur sucrée s’échappant de la lourde porte encore béante. Les épais battants de chênes luisaient dans la nuit et glissaient sous mes doigts pendant que je violais le mutisme de l’église pétrifiée. Rapidement, et un peu malgré moi, je trônai sur la peau froide et blanche de l’hôtel, tressaillant sous la douceur de ses caresses de givre.
J’ouvris les yeux. L’église me surplombait, plongeait, sombrait en moi, dénudant mes soupirs de ses chuchotements incertains, écho triste et lugubre qui volait entre les arches aux courbes démentes. Je pris conscience du dialogue qui saturait l’air que je respirais. À l’infini, les murs se rencontraient en des angles étranges, tanières propices à l’éclosion de la nuit. Piliers surplombant lentement les visages sculptés sur les murs, voûtes suspendues par des fils hésitants, vitraux ternissant sous la lueur de la lune; j’étais englué dans cette irrégularité immonde.
Brutalement, milles confessions résonnèrent sous l’échafaud du clocher, les voûtes pleurèrent leurs murmures sur mon visage, glaçant mon corps de leur lourdeur atroce. J’étais trempé de remords, mes mains tachées par le sang de paroles ancestrales, mes yeux devinrent deux plaies béantes, suintant la peur acide et exorbitée, ma langue goûtait les cris gutturaux des fous et les mornes plaintes des suicidées, mon souffle se débattait entre des voiles pestilentiels et âcres, brumes faisant de mes poumons de noires cheminées vomissantes. Mes tripes se serraient, grouillaient, voulaient s’extirper de mon corps, je stagnais en des flots d’ébène, souhaitant que ces souvenirs ne me suivent pas dans la mort.

Puis je me vis, cadavre gonflé et noirâtre, désarticulé sur l’hôtel de marbre, déjà putréfié et nauséabond, avec autour de moi l’or terni des statues et des coupes, baignant dans la plus totale obscurité, et me mis à délirer à voix basse.

Réveil VII

Mai 3, 2010

L’œil entrouvert, il flotte sur des brumes soupirantes. C’est ce panorama qui m’a été offert quand minuit est arrivé.
Son corps immobile frémissait en un souffle glacé; cadavre comateux pour échapper à la nuit. Mais son givre s’éternisait. Elle vomit sans bruit un voile laiteux; long, mince, opaque. Il glissa doucement dans les ombres de la pièce. Longuement. Ses ondulations déchirèrent la toile tendue de l’obscurité; rampant, et moi de marbre. J’observais le ver de fumée comme la mer qui se retire vers le large. L’inquiétude me gagna, et le froid. L’air du dehors sifflait à travers la fenêtre. La silhouette blanche répondit à cet appel et embrassa le clair de lune. La nuit l’avala, puis le silence.
Ses yeux explosèrent, son corps se détendit; la chambre sursauta.
– Comme tu veux. La fenêtre est ouverte.
– Ça va, c’est moi.
Elle n’avait pas quitté le sommeil, déjà ses lèvres s’envolaient ailleurs. Elle se rendormi en s’abrillant de ses paupières. Moi, oublié jusqu’au matin, tournant ses paroles entre mes doigts.
De la main, j’effaçai la chair de poule qui couvrait son corps. Je frissonnai; c’était la peau de l’hiver. Je rajustais les couvertures quand le rêve revint. Sous son sein, deux points, deux marques, deux gouffres carmin. Je passai mes bras sur sa taille et l’embrassai sur la nuque.
Le regard à la fenêtre.