Maudits!, par Edouard H. Bond

Éditeur : Coups de tête
Parution : 2009
141 pages

J’avais déjà lu l’intro de Maison de poupée sur le site de Coups de tête pi ça m’avait intrigué. J’ai suivi un peu le blogue de Bond pi ça m’a intrigué encore plus. Facque chu allé me chercher Maudits!.

« Jeffrey Lionel Dahmer se servait d’une perceuse électrique pour lobotomiser ses victimes et en faire des esclaves sexuels. Peter William Sutcliffe les attaquait avec un marteau avant de les violer et de les mutiler. Albert Henry DeSalvo les étranglait avec un bas de nylon, tandis que Dennis Andrew Nilsen préférait utiliser une cravate. David Richard Berkowitz, lui, les tuait avec un pistolet de calibre 44. À eux cinq, ils ont assassiné plus de cent personnes.
Dans Maudits!, Sergio est armé d’une machette, d’un harpon et d’une haine profonde e l’humanité. Ça tombe bien, une bande d’ados en limousine croise son chemin en s’en allant à l’après-bal. Ils sont saouls, stones, gonflés de poutine et de désir. Édouard les avait pourtant avertis de ne pas prendre la route 343… »

La limousine des 5 amis pogne un flat au milieu de la route 343. Y se font courir après par un gars avec un harpon pi une machette. En se sauvant, y traversent un champ de pot gardé par deux pit-bulls pi une gang de rednecks cokés. L’histoire, c’est ça.
Mais l’auteur joue avec les codes du film de slasher; Maudits!, c’est une grosse caricature de Friday the 13th pi Halloween. Premièrement, le méchant tueur en série s’appelle Sergio, nom qui est pas vraiment épeurant, même ridicule. Ensuite, Bond exacerbe la violence pi le sexe qu’il y a dans ces films-là pi l’amène à un niveau vraiment pas clean, mais pas clean dans le bon sens. Enfin, Sergio, comme tout bon slasher, sort toujours de nulle part pour tuer tout le monde. Bon.
Ce qui est original, c’est que Bond met en relation les slashers des films pi les serial killer de la vraie vie.

« Speck, c’est l’archétype du psychopathe made in Hollywood : Jason Voorhees, Michael Myers, name it. À la différence, toutefois, que ses crimes sont bien réels, ne sont pas des mutilations bricolées avec des bouts de caoutchouc qui saignent du sirop de maïs coloré. »

Au début de chaque chapitre, y a une quote d’un tueur connu pi une mini notice biographique qui montre un peu la place qu’il a eu dans notre société : ses surnoms, la médiatisation de son procès, des shits demême : on peut y voir une critique de la banalisation de la violence dans notre société.

« À l’instar de quelques autres tueurs en série, Ramirez devient une véritable vedette. Il est toujours impeccablement vêtu pendant le procès, arborant même des lunettes fumées qui lui donnent des airs de rockstar.»
« En 2003, un an après l’exécution de Wuornos, Charlize Theron gagne l’Oscar de la meilleure actrice pour sa personnification de la terrible meurtrière dans le film Monster. »

Cette critique-là est encore plus claire ici :

« Qui sait, peut-être que dans une dizaine d’années vos divertissements seront des snuffs movies présentés prime time à la télévision? Une vraie course à la mort comme dans Death Race 2000? Vos drôle de vidéo seront des images de guerre où il sera de bon ton de se taper les cuisses en voyant un tank exploser sur une mine. »

C’est à peu près la même chose avec le sexe, qui est abondamment montré mais critiqué en même temps.
Si on lit le livre rapidement, sans trop se poser de questions, la violence pi le sexe peuvent avoir l’air d’être gratuits pi l’auteur d’être un vrai attardé. Mais c’est pas le cas. Dès qu’on commence à réfléchir, la critique ressort assez clairement.

Mais faut pas se le cacher : le style cru pi parlé de Bond m’a fait rire à plusieurs reprises. Ce qui m’a amusé dans le roman, c’est pas la critique sociale. C’est les dialogues pi l’extrême vulgarité des descriptions.

« – T’as-tu une capote?
– Nope.
– C’est pas mon problème, mais tu vas peut-être avoir de la marde sur le bout de la graine après. Pis t’oublies ça, le blowjob, dans ce cas-là. C’est oké pour toi?
Hugues ferme les yeux et inspire profondément, il se demane si elle fait exprès pour être autant turn-off.
– C’est correct, là. Tourne-toé! »

C’est agréablement exagéré. J’ai rit tout le long en me disant Voyons qu’y a écrit ça! Pi c’est pas juste cru, le ton est crissement humoristique, ce qui rend ça moins pire. C’est comme si il dénonçait ce qu’il écrit en l’écrivant. De l’auto-dérision, mettons.
Ce que j’ai aimé, c’est surtout l’utilisation de la langue orale dans la narration pi pas juste dans les dialogues. Ça rend l’auteur présent dans le texte pi ça rend ça plus personnel, je dirais. En plus, en faisant ça, Bond revendique le québécois en tant que langue distincte pi il la libère du dogme franco-français littéraire. Chu d’accord avec ça moi.
D’ailleurs, la narration elle-même est intéressante : Bond se met lui-même en scène, en train d’écrire sur la table d’un fast-food quand les jeunes entrent se commander une poutine. Après qu’ils soient partis, Bond invente leur histoire en affirmant son caractère fictionnel :

« J’écris, j’invente, que ça soye clair, oké!? »

Verdict : je le recommande vivement. J’ai passé un bon moment à le lire pi j’ai été crampé toute le long. Le style est excellent, la structure originale pi la critique sociale corrosive. Étrangement, Maudits! se prête aussi très bien au jeu universitaire de l’analyse textuelle. Bref, j’ai ben aimé.

Je mets un lien pour lire les premières pages sur le site de Coups de tête : icitte
Pi pour une nouvelle que Bond a mise sur son blogue pi qui vaut le coup d’œil : Soudain les vaches

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