Malpertuis, par Jean Ray

Publication : 1943

(Les covers étaient ben plus cools dans le temps.)

Comme tout le monde le sait, la Belgique est la patrie du fantastique.
Hé oui.
Bizarre, quand on pense à la France qui s’en crisse depuis le début du XXe siècle. Mais l’influence germanique de la Flandre a déteint sur la culture franco-belge, ce qui a donné une vague fantastique en Belgique, à quelque part entre les années 40 pi 60, pi après. En gros, c’est pas mal ça.
Jean Ray, c’est leur Stephen King, leur Patrick Sénécal. C’est lui qui a donné un peu de légitimé le genre en lui donnant une valeur littéraire (aux yeux des universitaires octogénaires qui dominent la critique officielle). Le genre a donc passé de la littérature populaire à la ‘’haute’’ littérature. Dequoi demême. Jean Ray, son plus grand roman, c’est Malpertuis.

Tentative de résumé : le vieux Cassave, sur son lit de mort, promet de donner son héritage aux deux derniers habitants de sa maison, nommée Malpertuis. Mais jusque là, toute la famille doit habiter dedans. Pi elle est fucked up, la famille. Pi la maison itou. Jean-Jacques, le personnage principal, remarque des affaires étranges; une ombre d’homme qui éteint toutes les lampes, une main minuscule pognée dans un piège à rat, un pendu qui chante, un homme à tout faire sans visage, pi toute. Après la mort d’une couple de personnes, Jean-Jacques sait qu’y a dequoi de pas clean là dedans, y dit fuck l’héritage pi y se pousse avec la barmaid du coin. Mais là en route y tombe malade pi la barmaid l’emmène dans un monastère. Le bon vieux prêtre s’occupe de lui mais ça marche pas. Là, un docteur arrive pi demande de se faire enfermer dans une cellule pour la nuit pi y demande de pas ouvrir, la porte, peu importe ce qu’il va entendre. Finalement c’est un loup-garou, mais grâce au prêtre il l’es pu. Facque y lui raconte c’est qui Jean-Jacques, pi que Cassave (tsé le vieux du début) avait réussi, à force d’étudier les sciences occultes, à trouver les dieux de la mythologie grecque pi les enfermer dans Malpertuis. À Ce moment là, les Euménides (des déesses méchantes comparables à la Gorgonne) arrivent en volant au-dessus du couvent pi Jean-Jacques meurt pétrifié. C’est le moins poche résumé que je peux faire. Je vous donne un extrait :

« Alors je vis Lampernisse.
Il galopait à travers les couloirs, brandissant un flambeau à longue flamme rouge. Il se ruait de lampe en lampe, boutant le feu aux mèches, faisant naître dans le noir des ronds de lumière jaune.
Mais j’assistais impuissant et terrifié à sa vaine lutte contre les ténèbres de Malpertuis.
À peine avait-il donné le jour à une flamme de lampe, qu’une ombre véloce se détachait de la muraille, fondait sur elle, la soufflait et réinstallait la nuit dans la place.
Alors Lampernisse cria : le flambeau était mort dans ses mains. »

La structure est assez complexe : 5 narrateurs, flashbacks pi toute. Le roman s’ouvre sur le topos du manuscrit trouvé : le narrateur prétend avoir ramassé pi compilé les notes qu’on va lire. Ensuite on passe à un récit de l’ancêtre de l’abbé Doucedame, qui habite Malpertuis, qu’on comprend pas tout de suite mais qu’on comprendra plus tard, histoire de garder le mystère. Ensuite on saute à Jean-Jacques pour une bonne centaine de pages, pi après c’est le vieux prêtre Euchère pi finalement l’abbé Doucedame pi son histoire de dieux grecs. Après ça, le narrateur-compilateur entre à Malpertuis pour aller voir ce qui se passe là, mais y ressort assez vite à cause de bruits de pas dans l’escalier.
Il faut attendre à la toute fin pour vraiment comprendre ce qui s’est passé. J’aime ça moi. Ça nous oblige à utiliser notre cerveau. Le morcellement de l’histoire pi la multiplication des voix narratives, en plus de mettre en doute l’authenticité du récit (l’importante ambigüité fantastique), lui donnent encore plus de bizarrerie. Parce que bizarre, c’est le bon mot. La vieille maison labyrinthique, la tension au sein de la famille pi l’indétermination du temps pi de l’espace construisent une atmosphère presque surréaliste.
Rendu à peu près au milieu de ma lecture, je me suis dit Ça se passe quand cette histoire-là? Pi j’ai pas pu répondre. Ça se passe dans un temps mythique, suspendu en quelque part entre la renaissance pi le début du XXe siècle. L’espace, c’est pareil : tous les repères sont fuckés. La maison est un dédale de couloirs pi de pièces, d’angles irréguliers pi d’escaliers dérobés. Son aura s’étend aussi sur la ville, dont la géographie se modifie pour ramener Jean-Jacques à elle. Un peu comme dans Le procès de l’ami Kafka.
L’atmosphère passe autant par le fond que par la forme : le style de Ray est très travaillé, très subtil et poétique. Son écriture nous en dit juste assez pour qu’on entrevoie de quoi il parle, à l’image des ombres qui parcourent la maison. Ray se démarque du style fade pi impersonnel qu’on voit trop souvent chez des écrivains de fantastique :

« Les façades pleuraient, hantées d’immenses chagrins; un bruit aigre d’eau courante emplissait les rues; derrière chaque porte, chaque fenêtre, une main fantôme s’impatientait au gré des rafales.
Les arbres exilés sur les mails et les avenues n’étaient plus que grêle tracés au fusain et les feuilles mortes acquéraient, au caprice du vent, un maléfique pouvoir de mains à gifles.
Les cheminées armoriées de Malpertuis crachaient de puissantes colonnes de fumée dans l’air gris, car dans toutes les chambres ronflaient de vastes feux de bûches et de charbon de terre. »

Verdict : ça vaut la peine de le lire, ça sort des schémas habituels d’histoires de maisons hantées pi en plus c’est bien écrit. Dans Malpertuis, tout est flou, indéterminé; c’est ça qui en fait un bon roman fantastique.

Un film basé sur le livre a été réalisé en 1971 par Harry Kümel, avec Orson Welles dans le rôle de Cassave. Ça s’appelle Malpertuis: histoire d’une maison maudite.

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