Réveil IV

Un murmure métallique. Je me suis réveillé. Le songe qui m’enserrait s’est dissous soudainement, sans transition, dans la lumière jaune de la cuisine. La porte se détachait de la nuit, promettait un ailleurs ignoré auparavant. La pièce éclairée flottait au-dessus de mon rêve révolu, promesse de démence.
À mes côtés une chevelure d’encre s’étalait comme un poulpe inanimé. Sa poitrine se soulevait au rythme de la marée; ses vagues s’étiolaient en soupirs d’écume. Elle sommeillait.
Quelqu’un s’agitait dans la cuisine mais je me trouvais sous un voile. Je lévitai jusqu’à la lumière étrange, déplacée. J’ai fracassé la clarté. L’éblouissement fit apparaître un être inconnu. Un petit garçon se dressait, horrible, dans la cuisine. Son visage figé semblait fait d’argile. Surtout les yeux. Sur sa poitrine tombaient deux énormes mamelles, molles, rampantes, incongrues. Il me fixait comme un portrait. Il vint vers moi. J’éprouvai un dégoût immense, une sensation déraisonnée de saleté à l’idée qu’il pourrait me toucher. Il s’avançait, les bras le long du corps, guidé par ses yeux d’émail. La clarté obscène qui rayonnait dans la pièce rendait la scène trop réelle. En panique, je m’enfoui dans l’ombre de la chambre d’où j’arrivais. La nuit me cacherait ces choses.
Elle n’était plus dans le lit. Elle n’était nulle part.
Du vestibule sorti une petite silhouette, toute petite, qui marchait mécaniquement vers moi. Je ne l’avais pas vu mais je savais. Le garçon me touchait presque; je le poussai violement de mes deux mains. Il alla s’écraser contre le mur et s’effondra comme une poupée de chiffon sur le sol. Sa légèreté était repoussante. Il se releva aussitôt et revint dans ma direction. La fillette se rapprochait. Je la frappai, elle aussi, de toutes mes forces. Son petit corps se désarticula dans la chute; il se remboita immédiatement. Les deux monstres cherchaient à me toucher, me souiller, me maculer de leur pupilles boueuses. Leur proximité me pénétrait, fouillait mes chairs, polluait mon sang, étalait leur laideur sur ma peau.

Je frappe, pousse, cogne, depuis plusieurs heures déjà, comme un Sisyphe dégouté. Mes forces s’éparpillent dans le vide de la chambre. Ils ne s’en iront pas. Ils finiront par me toucher, par m’avoir. J’ai beau résister, ils finiront par m’avoir. Je gagnerais quelques heures d’horreur, tout au plus. Autant abdiquer tout de suite. Je me contracte en un fœtus tremblant et hoquetant. J’attends.
Puis, des mains, des mains se promènent sur mon dos, mes cuisses, mes épaules, des mains me violent doucement, des mains me souillent, me barbouillent de leur saleté, des mains me caressent, me frôlent, m’effleurent, des mains me torturent.

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