Entre les bras des amants réunis, suivi de Contes de la nuit tombée, par Claude Bolduc

Éditeur : Vents d’ouest
Parution : 2010
Novela, Nouvelles
190 pages

J’avais ben aimé l’autre recueil de Bolduc, Les yeux troubles, facque j’avais hâte de lire celui-là, son dernier. La novela Entre les bras des amants réunis avait déjà été publiée dans L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois 2000, en 2005. J’ai le recueil dans ma bilbiothèque depuis un boutte pi j’attendais le bon moment pour le lire. C’est faite :

« Une maison, c’est la sécurité. C’est aussi un signe de réussite, c’est même l’ultime refuge de qui cherche à s’isoler. Lorsque Jacques voit se présenter la chance de quitter son logement miteux et d’emménager dans une petites maison, SA maison, grande est sa confiance de laisser derrière lui la grisaille d’une vie ancienne.
Certes, la maison n’a rien d’un palace mais, déjà, il s’y sent bien. Bientôt s’estompent les mauvais souvenirs, remplacés par un bien-être qu’il ne se souvient pas d’avoir connu. Ici, tout est parfait. Curieux, tout de même, que les copains du vendredi semblent toujours s’inquiéter de l’état de Jacques. Il est si bien ici, avec son secret à lui, découvert au fond de la cave… Puisse la maison veiller sur lui longtemps encore, comme elle l’a si bien fait pour d’autres avant lui. »

Entre les bras des amants réunis

Facque c’est l’histoire de Jacques, en dépression depuis un an, qui s’achète une maison grâce à l’aide de son frère. Y sort enfin de son appart crade qui le rendait fou pi déprimé. Pour lui, c’est un recommencement, une chance de reprendre sa vie en main. Y décide d’arrêter de prendre les pilules que son docteur y avait prescrites – pas vraiment une bonne idée, en général. Anyway; ses amis Denis pi Jean-François viennent l’aider à déménager pi jouer leur classique game de Risk hebdomadaire en buvant de la bière belge. Le lendemain, Jacques découvre que la salle de bain est pas isolée par en-dessous, facque y décide de rénover la patente. En creusant dans la cave, y trouve une peau humaine.

« Cela n’avait aucun sens, c’était la chose lea plus impensable qu’il avait vue de toute sa vie, mais il semblait bien que ce fût un corps. Avisant un bout de planche par terre, il s’en empara et s’approcha de l’objet. Un corps. Une enveloppe de peau avec rien dedans. […] La forme sombre étendue près de lui, cette croûte sans âge et parchminée, vidée de tout par on ne sait quel procédé, avait été quelqu’un. »

J’ai été vraiment content de retrouver ce que j’amais aimé dans Les yeux troubles, c’est-à-dire les perversions sexuelles weird pi malaisantes. On devine assez facilement ce qui va se passer avec la peau, qui, d’ailleurs, est celle d’une femme. Hé oui, Jacques en tombe amoureux. Sauf que j’ai l’impression que ça arrive un peu trop vite, genre qu’on a pas le temps de bien comprendre comment Jacques sombre à ce point-là dans la folie. Autre affaire : j’ai pas trop aimé les moments où Jacques s’adresse à sa Belle; c’est trop explicite ou je sais pas. Je comprend que c’est une façon d’entrer dans la psychologie de Jacques, mais c’est un peu maladroit : « Tu vois, à toi, j’arrive à le dire et à l’expliquer, mais je n’y arrive avec personne d’autre. » On a quand même le droit, à la fin, à une vision grotesque pi délicieusement dégueuse :

« Jacques apparu subitement, tournoyant au rythme de la musique qui parvenait d’en haut, nu comme un ver, les yeux fermés, serrant tout contre son corps quelque chose de noir et luisant dont les excroissances flasques virevoltaient comme des guenilles autour de lui. Le sexe dressé de Jacques s’enfonçait dans la substance gluante, et sa dance frénétique répandait une odeur de décomposition dans la cave pendant que des lambeaux se détachaient de cette chose. »

Dans le genre tordu, on trouve pas mieux. Autre chose qui m’a plu : la dynamique entre Jacques pi ses amis. Même si des fois les dialogues sont pas excellents, en général, Bolduc a réussit à bien rendre la familiarité pi les interactions entre des vieux amis.
Mais j’ai eu un peu de misère avec certains aspects de l’écriture, tout particulièrement l’usage, selon moi abusif, des points d’interrogation pi d’exclamation. Mais bon, ça empêche pas d’apprécier quand même l’intrigue pi les personnages.
Quant à la fin, chu pas trop sûr. Elle a l’air bizarre, facque je pense qu’y faut plus chercher du côté symbolique pour l’expliquer.

Dès le début, on a un personnage malade qui prend des pilules pi qui décide d’arrêter. Ça ouvre déjà la porte à des dérapages qu niveau des perceptions de Jacques. Dans sa nouvelle maison, y fait son possible pour pas retomber dans son apathie d’avant. Sauf qui délaisse toute quand y trouve la peau, qui renvoit évidemment à son impression d’être un corps vide pi sans substance. Comme si y se reconnaissait dans cette peau-là, enterrée pi oubliée par tout le monde depuis trop longtemps. Le fait qu’y trouve la peau dans la cave est évocateur : la cave, c’est le passé, la plongée dans l’inconscient, dans les zones sombres de sa propre psychée – on a juste à se rappeller du roman gothique : dans la cave, on trouve des secrets qui sont cachés depuis longtemps. Tout le roman alterne entre Jacques qui devient de plus en plus fou pi sociopathe pi ses rencontres avec ses amis, qui sont là pour objectiver un peu le point de vue qu’on a de Jacques, parce que la narration en focalisation interne nous plonge dans sa tête à lui, faisant paraitre normal ce qu’y l’est pas pantoute – genre tripper sur une peau d’humain. Jacques fréquente de moins en moins le monde extérieur, même ses amis. Tout ce qu’y veut c’est être chez eux, donc dans sa tête, dans son délire. Son seul contact avec le monde extérieur, c’est la vieille madame, qui vient tuer ses amis quand y découvrent son sérieux problème mental. Comme si la vieille madame était une genre de garante de sa folie qui détruit la seule chance de Jacques de s’en sortir : ses amis. En les tuant, métaphoriquement ou pas, la madame vient enfoncer définitivement Jacques dans ses affabulations. Pi, à la fin, quand la madame dit à Jacques que la maison l’attendait pi qu’elle l’a adopté, pi que ses amis reviennent après la mort pour vivre avec lui, là, on doute pu que tout ça se passe dans sa tête. Au final, dire que la maison l’a adopté, c’est dire que Jacques a trouvé le lieu dans lequel il est bien; le problème, c’est que ça fait de lui un fou, un mésadapté social qui s’enferme dans ses délires. Certaines personnages sont juste pas faites pour vivre en société.

Les ténèbres

Nouvelle d’une page qui a le ton d’une convocation de démon. Quand même nice. Ça peut aussi servir d’entrée en matière pour le reste des nouvelles.

Le masque

L’histoire d’un gars qui passe ses nuits avec une gang de weirdos qui se livrent à des orgies pi des partys de toutes sortes. Le gars est obsédé par un certain Suchi, un gars qui semble porter un masque – on est pas sûr – pi qui suscite la confiance pi l’affection chez tout le monde. Sauf qu’on a jamais revu ceux avec qui y devient intime.
Écrite dans un style vague pi située dans une atmosphère bizarre, cette nouvelle-là constitue un traitement intéressant du theme de l’identité pi de l’altérité.

La traversée

Un gars remarque que presque tous les passants qui marchent dans la rue portent sur leur dos, sans s’en rendre compte, un genre de monstre.
Ça ressemble étrangement à un des Petits poèmes en prose de Baudelaire, tout particulièrement à Chacun sa chimère, avec une dernière phrase intéressante.

Le lendemain de veille

L’histoire tragique d’une vampire à qui on a prélevé les yeux à la morgue pour le don d’organe.
L’idée est bonne pi comique; le traitement est sérieux pi, en général, assez efficace.

L’œil de la lune

Envolée lyrique sur le mode de la complainte amoureuse qui finit abruptement.
C’est pas mal écrit, mais ça manque un peu d’intérêt, surtout la finale, qui semble un peu factice.

Il ne faut pas que je dorme

Les confidences d’un gars qui semble avoir la lourde responsabilité de guider les morts, qui, sans lui, ne saurait pas où aller.
C’est pas clair pi ça fait penser à The sixth sense, mais c’est ben écrit pi inquiétant.

L’horloge du grand Birimi

Un petit gars qui explore la cave d’un vieux monsieur. Y trouve une horloge grand-père supposément magique. Y entre dedans, pi y se rend compte que c’était vrai.
Une des moins bonnes du recueil. Trop convenue pi écrite sans grand enthousiasme, on dirait. Ça donne l’impression d’être là pour boucher un trou.

Dans la poubelle

L’histoire bizarre d’un gars qui se fait persécuter par sa poubelle, ou par quelque chose qui vit dedans.
Malgré le concept apparement grotesque pi risible, la nouvelle réussit à être angoissante. Une évocation étrange de la dépendance à l’alcool ou autre drogue ?

Un conte de whisky : hommage à Jean Ray

Un marin se rend dans un bar après un long séjour en mer. Le barman y sert un whisky au pouvoir étonnant.
Même si j’ai lu un peu de Jean Ray, je me sens pas assez connaisseur pour juger de la qualité du pastiche. Les thèmes me semblent corrects, mais pour l’écriture, je peux pas me prononcer.

Verdict

Recommandé. La novela est intéressante malgré ses défauts pi les nouvelles sont, pour la plupart, juste assez pas claires pour être intéressantes, chose que j’apprécie chez Bolduc.

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