L’indésirable (The Little Stranger), par Sarah Waters

Éditeur original : Virago Press, 2009
Traduction française : 2010, par Alain Defossé
Éditions Alto
572 pages

J’ai trouvé ce titre-là dans La Presse, cahier Suggestions de cadeaux de Noël. C’est pas ben glorieux, mais bon. Un livre de maison hantée récent pi ben critiqué, ça se refuse pas. Surtout pas avec des commentaires demême : « Un conte délicieusement hanté par l’esprit de Henry James et celui d’Edgar Allan Poe. Une histoire de revenants pleine de grâce et d’intelligence. » C’était parfait pour aérer mes lectures du temps des fêtes.

« Hundreds Hall n’est plus que l’ombre de lui-même ; depuis longtemps les glaces ternies ont cessé de refléter ces fêtes qui animaient le manoir au temps de sa splendeur. Victime elle aussi des ravages de la Seconde Guerre mondiale et des tensions qui déchirent le tissu social de l’Angleterre, la famille Ayres, qui habite Hundreds depuis des générations, est abandonné à son triste sort. Malgré la débâcle, la mère tente de cacher son infortune tandis que le fils, blessé au combat, peine à assurer la relève, aidé par sa sœur, Caroline, une femme vive et indépendante.
Venu un jour s’occuper d’une domestique souffrante, le docteur Faraday, qui a connu enfant la belle époque du manoir, se lie bientôt d’amitié avec la famille. Il sera avec elle témoin d’une succession d’évènements de plus en plus effrayants. Se peut-il que les Ayres, hantés par les souvenirs d’une vie révolue, soient aussi tourmentés par une autre présence rôdant dans les corridors de Hundreds Hall ? »

Ça fait beaucoup penser à The house of seven gables (Nathaniel Hawthorne). Là aussi, c’est l’histoire d’une famille aristocrate sur son déclin. Là aussi, c’est très lent pi le fantastique reste en arrière-plan. Pi là aussi, y a une belle finesse psychologique. Dans les deux romans, les personnages sont tout petits comparé à la maison, qui est montrée comme dominatrice. Comme le chronotope du château gothique – merci, Bakhtine -, la maison garde des traces pi des souvenirs des différentes époques qu’elle a traversé, devenant un lieu où les temporalités se mélangent. Fini, la comparaison.

C’est vrai que c’est très lent. Ça prend plus de 150 pages avant que dequoi de bizarre arrive, pi un autre 100 pages avant qu’une deuxième affaire bizarre se produise. Mais c’est essentiel, d’après moi, de bien connaitre les personnages pour qu’on puisse vraiment entrer dans l’histoire; ça rend l’intrigue ben plus intéressante si on a l’impression d’être proche d’eux.

Facque ça prend du temps à démarrer, pi une fois démarré, ça reste assez discret, un peu à la Haunting of Hill House (Shirley Jackson). La maison est pas hantée par des spectres, elle est pas construite sur un cimetière indien pi personne est harcelé par un démon :

« – Des poltergeists ! Dieu du ciel ! Pourquoi pas des vampires, ou des loups-garous ? »
Elle secoua la tête, agacée. « Il y a un an, j’aurais réagi de la même manière. Mais ce n’est qu’un mot, n’est-ce pas ? Un mot pour désigner une chose que nous ne comprenons pas, une sorte d’énergie, ou une somme d’énergie. Ou bien quelque chose qui est en nous. Je ne sais pas. Ces auteurs, là : Gurney et Myers. » Elle ouvrit l’autre livre. « Ils parlent de fantasmes. Pas de fantômes. Et les fantasmes font partie de l’individu. »

Mais, même si le fantastique pi l’horreur sont pas explicites comme dans du Stephen King, la gradation dans les évènements réussi à nous angoisser. D’ailleurs, toutes les affaires bizarres sont racontées par le narrateur, qui les a pas vus mais se les ai fait raconter par quelqu’un d’autre. Ce qui vient miner un peu sa crédibilité pi qui laisse place à l’interprétation rationnelle de la maladie mentale héréditaire – un classique. Mais à chaque fois, les récits des phénomènes inexpliqués sont efficaces pi intriguants. Ça fait pas vraiment peur, mais ça donne une genre d’impression de menace qui plane sur tout le roman.

Waters réussi à faire de son personnage principal, le Dr Faraday, un vrai être humain, complexe pi pas toujours parfait, pi à le rendre attachant. La narration à la première personne nous donne le point de vue du docteur sur toute l’affaire, évidemment filtrée par sa subjectivité pi son rationalisme scientifique. Facque on a accès à son intériorité, pi ses réflexions pi ses émotions sont vraiment subtiles pi bien rendues par l’auteure. Y pose aussi un regard assez cynique sur la société de son époque (l’après 2e Guerre) qui transparait dans sa lucidité dans le domaine des relations sociales pi interpersonnelles. Le style de Waters a rien d’éclatant, mais y est classique, sobre pi efficace.

La fin est ambigue. On sait pas trop si on doit croire ou pas, mais on saura jamais. Les dernières dizaines de pages sont tellement tragiques que j’y croyais pas. J’ai vraiment été surpris par le dénouement, que j’ai trouvé cruel pour le Dr Faraday, pi aussi pour le lecteur. Tragique, c’est le mot : c’est comme si le destin s’acharnait sur les Ayres pi qu’y peuvent rien faire pour s’en sortir. Les dernières phrases semblent proposer une interprétation, ou peut-être plus une piste d’explication, mais rien de vraiment clair.

Verdict : Recommandé. Malgré quelques mini-longueurs, c’est une lecture intéressante. Les personnages sont bien développés, l’intrigue bien amenée pi le fantastique juste assez subtil.

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