Cannibal Holocaust

Réalisation : Ruggero Deodato
Scénario : Gianfranco Clerici
Pays : Italie
Sortie : 1980

Supposément bannit dans plus de 50 pays, Cannibal holocaust est un des films qui a le plus scandalisé à sa sortie. Deodato a été obligé de prouver en cour que l’empalement est pas réel pi que les acteurs sont pas vraiment morts pendant le tournage. Le film a aussi été dénoncé par les activistes pour les droits des animaux parce qu’y met en scène des morts réelles d’animaux, dont une tortue de trois pieds de long. Y parait aussi que certaines scènes de sexe sont vraies (mais y a pas vraiment moyen de prouver ça) pi que l’acteur principal avait sérieusement peur de se faire tuer pendant le tournage. C’est aussi un pionnier dans le genre du found-footage, avant Blair Witch Project pi C’est arrivé près de chez vous.

Résumé

C’est l’histoire de Harold Monroe, un anthropologue crissement réputé, qui part à la recherche d’une équipe de tournage disparue deux mois plus tôt quelque part dans la forêt sud-américaine alors qu’y filmaient un documentaire sur une tribue cannibale. Après une couple de jours de marche, Monroe pi son équipe réussissent à établir un contact avec les cannibales, les Yacumos. Pendant une cérémonie quelconque, Monroe trouve les bobines de film de l’équipe qu’y cherche. De retour à New York, des producteurs y demandent de faire un documentaire sur l’équipe disparue. Après avoir regardé les tapes trouvés sur le terrain, Monroe s’oppose à leur diffusion auprès du grand public, parce qu’y juge que c’est trop horrible. Pour convaincre les producteurs, qui sont ben contents parce que la violence, ça vend en crisse, y leur fait visionner le found footage, qui compose à peu près la moitié du film que nous, on regarde. Facque on voit le crew crissement expérimenté essayer de survivre pi de filmer les cannibales, mais plus ça va, plus y deviennent crinqués pi y se mettent à décâlisser les autochtones, qui se laissent pas faire, évidemment.

Critique

Des amis m’avaient « Oué, c’est un bon film, mais c’est pas si pire, tsé, ça a quand même 30 ans. » Facque je lisais les quotes sur la pochette genre « The most controversial movie ever made » ou « The most disturbing, shocking film I have ever seen » sans trop y croire, tout comme les avertissements au début du film qui disaient « No one under 18 should see this movie ». Moi, comme un con, je m’attendais à voir un film à la Fulci, genre dégueux mais drôle pi divertissant. À la place, je me suis fait violer. Viol agréable, mais viol quand même. Sérieux, pendant la scène de la tortue, j’ai pensé me cacher les yeux pour arrêter de voir ça, chose qui est jamais arrivée depuis que j’écoute des films d’horreur. Mais j’ai réussi à garder les yeux ouverts tout le long. C’est la pire chose que j’ai jamais vu, pire que 2 girls 1 cup, pire que tout. Y font pas juste la tuer, la tortue, oh non, y la décapitent, y coupent les pattes, arrachent sa carapace, jouent dins organes, la font cuire pi la mangent. Toutes les autres scènes de tuage d’animaux sont plus soft, mais quand même pas nice : un genre de rat musqué stabbé dans la gorge, un pauvre cochon tiré à bout portant pi un singe tout cute qui se fait scalper la face avec une machette. Pour le serpent décapité pi la grosse crisse d’araignée coupée en deux, on s’en câlisse, on les haït ces affaires-là. Bon. Quant à la violence faite aux humains : c’est pas si gore, mais crissement horrible psychologiquement. Les trois scènes de viol sont tellement crues, sauvages, pi ben jouées que ça met infiniment mal à l’aise. La fille empalée, c’est ben fait en tabarnaque, pi la toune genre Sigur Ros fait un contraste vraiment puissant qui donne de la profondeur à la scène. Sans oublier aussi la scène de l’avortement homemade.
Effectivement, ce film-là est choquant, mais choquant genre qui ébranle, pas juste superficiel comme A serbian film. Ça m’a crissement dérangé, pi quand j’y repense j’ai un genre de tiraillement dans les boyaux qui est un mélange de répulsion pi d’amour.
Parce que c’est un excellent film. Juste la construction de l’intrigue est intéressante : on voit Monroe qui réussit à interagir pacifiquement avec les cannibales; ensuite, on voit le found footage entrecoupé de scènes de délibération à propos de la diffusion de ces images-là. Le montage est fait pour donner des pauses au spectateurs, qui en a crissement besoin. Le jeu des acteurs est super bon pi le genre du found footage est crissement ben maitrisée. J’ai ben aimé aussi le revirement de situation, genre que ça soit les humains qui décrissent les cannibales, pi pas l’inverse – quoique, à la fin…

Analyse

Deodato a dit à plusieurs reprises qu’y a pas de message dans son film, pi qu’y voulait juste faire un film de cannibales, point. Y me semble que c’est un peu niaiseux de dire ça, mais bon. Je comprend pas le monde qui disent que la violence est gratuite : explicitement, dans le film, y a une réflexion sur la violence à la télé pi aussi un questionnement sur les idées de « sauvages » pi « civilisés »; d’ailleurs, la dernière phrases du film, c’est « I wonder who the real cannibals are. » On a même pas besoin de se forcer pour trouver un message.
Ça sert à rien de se demander si on a le droit de montrer de la violence à l’écran, parce que c’est pas une question morale, mais esthétique. Faut se demander à quoi elle sert, cette violence-là, qu’est-ce qu’elle veut dire. Dans Cannibal Holocaust, y a deux types de violence : la violence – simulée – faite aux humains pi la violence – réelle – faite aux animaux. Personnellement, c’est la deuxième qui m’a le plus dérangé, parce que c’était pas des trucages. Y ont vraiment tué un animal, tandis que quand les humains meurent, on peut être dégouté, mais au fond, on sait que c’est pas vrai. C’est pour ça qu’on aime le gore. Dans le film, Monroe refuse de diffuser The green inferno à la télé. Parce que y a une différence entre montrer un film gore dégueulasse pi montrer du monde mourir pour vrai. Chu un fan de films d’horreur mais jamais je regarderais un vidéo de quelqu’un qui se suicide, ou dequoi demême. Je pense que c’est cette différence-là qui est montrée par les meurtres réels d’animaux.
Dans la même idée, le film dénonce, y me semble, l’avidité des médias pour les affaires les plus horribles. On a juste à penser à tous les photographes qui gagnent des prix pour avoir pris une belle photo d’une petite fille morte au Darfour ou n’importe quoi dans le genre. Comme dans le film, les médias se cachent derrière la « Vérité » pour montrer des images choquantes. Cette hypocrisie-là est montrée pendant la scène de l’empalement, quand Allan regarde le corps en souriant. Y se fait dire « Watch it, we’re shooting. »; là, y fait sa face sérieuse de reporter engagé pi y dit « Good lord ! It’s unbelievable, it’s horrible ! » Au lieu de trouver ça dégueu pour vrai, y fait semblant alors que dans le fond, y est content parce qu’y pense à son futur succès. Plus loin dans le film, pendant qu’y tire sur des indigènes, Jack crie « We’re gonna get an Oscar for this ! » Facque les images-choc sont pas filmées pour la Vérité, mais juste pour la gloire.
Ça dénonce un genre de sensationalisme morbide qui trouve ses images dans des vraies situations limites. En disant ça, le film, qui prétend être réel, continue son argumentation au niveau formel : si c’est pas nice de montrer du vrai monde mourir, c’est autre chose quand on fait un film. C’est un art, une représentation; une façon de montrer le réel. Dans ce cadre-là, la violence peut pas être dénoncée parce que 1. Elle est pas réelle; pi 2. Elle participe à un projet plus vaste que sa simple représentation : l’œuvre d’art signifie toujours quelque chose.
Si Cannibal holocaust a autant choqué à sa sortie en 1980, c’est que le found footage était pas un genre connu. Vu que Deodato a vraiment réussit à donner une impression de réalité en s’approchant le plus possible de l’illusion référentielle, grâce au jeu des acteurs, aux plans séquences pi à la caméra POV, la ligne entre violence réelle pi violence représentée s’est estompée dans l’esprit des spectateurs de l’époque. Facque la réflexion sur la violence est en même temps un questionnement sur la représentation au cinéma.
Y aussi la question de la relativité du mot « civilisé ». C’est peut-être un peu trop postmoderne comme question, mais bon. J’aime mieux voir ça comme une critique du colonialisme. Le monde vivant la décolonisation depuis la fin de la IIe Guerre mondiale, c’est normal qu’en 1980, pendant que le phénomène continuait, que quelqu’un ait voulu en parler. Le film nous donne deux possibilités face au monde « sauvage » : soit dialoguer avec eux pi partager les connaissances pi les cultures, comme Monroe, soit décâlisser tout le monde pi ensuite être fâché quand ça se revire contre nous, comme l’équipe de tournage de Allan.
C’est pas finit : d’une perspective psychanalytique, c’est aussi intéressant. C’est l’homme civilisé, raisonnable pi rationnel, qui débarque dans un endroit complètement sauvage pi régit par des lois étranges, mais quand même peuplé par des hommes, qualifiés de « primitifs ». Y vivent presque nus, ont des coutumes sexuelles bizarres pi pratiquent le cannibalisme : on peut les associer à l’inconscient, aux pulsions animales refoulées qui se trouvent au fond de chaque être humain. Quand ces pulsions ressurgissent, on peut : 1. Apprendre à dealer avec (Monroe); 2. Essayer de les repousser encore plus, mais causant ainsi notre autodestruction (Allan). Parce que l’homme civilisé a peur de son côté animal. L’idée, c’est pas d’ignorer nos pulsions, mais de les contrôler.
Facque le monde qui ont été – pi qui le sont encore – choqués par la violence de Cannibal Holocaust pi qui la dénoncent comme étant gratuite, ben ce monde-là se butent sur des considérations morales qui les empêchent de voir plus loin que le premier degré, parce que ce film-là est crissement riche de significations.

Verdict

Recommandé, crissement. Un des meilleurs films d’horreur de l’histoire, sans aucun doute. Le pire, c’est qu’y accotte sa réputation de film choquant même après 30 ans, ce qui est un crisse d’exploit. Un chef-d’œuvre, mais un chef-d’œuvre qui fait mal. Des fois, les films d’horreur extrêmes nous font des coupures qui finissent par guérir; Cannibal Holocaust, ça laisse une cicatrice.

Laisser un commentaire