La morte amoureuse, par Théophile Gautier

Parution : 1836
Longue nouvelle
Cinquantaine de pages

Cette histoire de vampire-là a été écrite plus de 50 ans avant le Dracula de Stoker. À tort, Gautier est souvent considéré comme un des « petits » romantiques. C’est oublier que les Fleurs du mal de Baudelaire y sont dédicacées. C’est quand même ça. La morte amoureuse, c’est probablement sa novuelle fantastique la plus connue, avec La cafetière.

« Un matin, j’étais assis auprès de son lit, et je déjeunais sur une petite table pour ne pas la quitter d’une minute. En coupant un fruit, je me fis par hasard au doigt une entaille assez profonde. Le sang parti aussitôt en filets pourpres, et quelques goûttes rejaillirent sur Clarimonde. Ses yeux s’éclairèrent, sa physionomie prit une expression de joie féroce et sauvage que je ne lui avait jamais vue. Elle sauta à bas du lit avec une agilité animale, une agilité de singe ou de chat, et se précipita sur ma blessure qu’elle se mit à sucer avec un air d’indicible volupté. Elle avalait le sang par petites gorgées, lentement et précieusement, comme un gourmet qui savoure un vin de Xérès ou de Syracuse; elle clignait les yeux à demi, et la pupille de ses prunelles vertes était devenue oblongue au lieu de ronde. De temps à autre elle s’interrompait pour me baiser la main, puis elle recommençait à presser de ses lèvres les lèvres de la plaie pour en faire sortir encore quelques gouttes rouges. Quand elle vit que le sang ne venait plus, elle se releva l’œil humide et brillant, plus rose qu’une aurore de mai, la figure pleine, la main tiède et moite, enfin plus belle que jamais et dans un état de parfaite santé. »

C’est l’histoire du prêtre Romuald, qui nous raconte comment, quand y était jeune, sa vie a été fuckée par l’amour qu’y porait à une vampiresse du nom de Clarimonde. Ayant toute sa vie vécu dans l’enceinte d’un monastère (ça rappelle Ambrosio dans Le moine, de Lewis), y avait jamais vu de femme. Mais, parce qu’y a toujours un mais, le jour de son ordination, y voit Clarimonde pi a un coup de foudre. Mais y peut pas dire non pi y jure devant Dieu pi toute. L’évêque de la place a ben remarqué qu’y filait pas facque y l’envoit loin de Clarimonde, dans un village de campagne. Là, Romuald s’emmerde jusqu’à ce qu’une nuit, un cavalier viennent le chercher pour aller donner l’extrême-onction à sa maîtresse sur son lit de mort. Finalement, sa maîtresse, c’est Clarimonde. Romuald la trouve tellement belle dans sa mort qu’y y donne un baiser, ce qui la ranime. Elle y dit qu’elle est morte mais qu’elle va venir le visiter la nuit. Quelques jours après, y se poussent à Venise pour mener une vie de riches aristocrates. Tout le long, Romuald est pas sûr si c’est sa vie de prêtre qui est réelle, ou ben sa vie de gentilhomme. Jusqu’à ce que Clarimonde se jette sur un bobo qu’y s’était fait au doigt avec son couteau. J’arrête ici.
Ce qui est cool, c’est que jusqu’à la toute fin, on sait pas trop, comme le personnage, si c’est un rêve son histoire de vampire, ou ben si c’est vrai. C’est pas mal ça le thème principal, la confusion entre réalité pi illusion. Sinon, ça fait pas ben ben peur. Clarimonde aime Romuald, pi lui y est prêt à donner son sang à sa blonde si ça peut y éviter de mourir. C’est une saine relation de vampirisme. À part quand Dieu commence à s’en mêler. Anyway. Ça se rapproche plus de la définition du fantastique énoncée par Todorov que de celle de Lovecraft, mettons. Gautier joue sur l’ambiguité plutôt que sur le suspence.
Le style est classique, avec des longues phrases impeccables. C’est un peu froid, plus que Mérimée, j’ai trouvé, mais ça coule super bien :

« À dater de cette nuit, ma nature s’en est en quelque corte dédoublée, et il y eu en moi deux hommes dont l’on ne connaissait pas l’autre. Tantôt je me croyais un prêtre qui rêvait chaque soir qu’il était gentilhomme, tantôt un gentilhomme qui rêvait qu’il était prêtre. Je ne pouvais plus distinguer le songe de la veille, et je ne savais pas où commençait la réalité et où finissait l’illusion. Le jeune seigneur fat et libertin se raillait du prêtre, le prêtre détestait les dissolutions du jeune seigneur. Deux spirales enchvêtrées l’une dans l’autre et confondues sans se toucher jamais représentent très bien cette vie bicéphale qui fut la mienne. »

Verdict : recommandé, mais pas pour tout le monde. Veut veut pas, ça date quand même de plus de 150 ans pi les gens pas habitués à lire des textes de cette époque-là vont trouver ça platte. Sinon, pour quelqu’un qui s’intéresse un peu à la littérature fantastique, ou la littérature en général, c’est super bon.

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